— Quitter Yaga Minor au plus vite. A l’heure qu’il est, les espions ennemis auront déjà fait leur rapport à leurs supérieurs… Ils savent donc que la flotte s’est regroupée ici. Si vous détruire est leur but, ils concentreront leurs efforts sur cette cible. En vous prenant de court…

— Quoi d’autre ?

— Une seule chose : nous vous invitons cordialement à rallier l’Alliance Galactique afin de continuer ce dialogue. Au cours des combats, votre soutien nous aurait été très utile. Maintenant, notre aide vous serait tout aussi précieuse. Nous vous tendons la main de la paix et de l’amitié. A vous de la serrer…

L’image holographique resta immobile un long moment – assez pour que Jacen se demande s’il n’y avait pas une panne.

Puis son interlocuteur inclina la tête avec une grimace.

— Je vous recontacterai.

Il coupa la transmission.

Jacen s’avisa que ses paumes étaient moites.

— Ça s’est mieux passé que prévu, ou plus mal que ce que j’aurais pu imaginer ?

— Mieux que prévu, assura Yage en approchant. Négocier n’est pas dans la nature de cet imbécile. Réfléchir par lui-même non plus… L’avoir amené jusque-là était déjà un exploit. Tel que je le connais, il est en ligne avec le Moff Flennic – qui va lui dire de cesser d’écouter ces absurdités. Bref, le temps qu’ils voient où est leur intérêt, la situation aura encore changé… (Yage jeta un regard préoccupé sur la passerelle.) Tout dépendra de leur hiérarchie, en somme.

— Donc des officiers qui auront comblé les vides dans leur chaîne de commandement ?

— Précisément. Le Chimaera porté disparu, les Moffs déduiront que Gilad Pellaeon est mort. Mais avant d’en avoir le cœur net, ils refuseront de se mouiller. Et tant que Flennic ne saura pas quelle option prendra le Conseil, il se tiendra lui aussi à carreau. S’il est soutenu, il pourrait même en profiter pour tenter de s’emparer du pouvoir.

— Une mauvaise chose…

— Pour vous, c’est certain. Et pour nos chances de survie aussi.

Jacen ne répondit rien. Ce n’était pas elle qu’il devait convaincre.

 

Quand les canaux subspatiaux redevinrent libres, Jacen demanda une fréquence pour communiquer avec l'Ombre de Jade.

— Veux-tu revenir ? demanda Mara, inquiète pour la petite Chadra-Fan et pour le fils de Leia. Nous pourrions retourner discrètement dans le système et…

— Je ne te le conseille pas. Ils seront à l’affût. Mieux vaut rester où vous êtes. Et quelle que soit votre cachette, surtout, ne m’en dites rien.

— Ce n’est pas ta seule inquiétude, pas vrai ? demanda Luke.

— Eh bien, non… En fait, oncle Luke, je ne sais pas grand-chose des Impériaux, sauf qu’ils te connaissent. A mon avis, ils seront beaucoup plus à l’aise devant un jeune négociateur que face à l’homme qui a mis leur empereur à genoux…

— Je suis d’accord avec toi, Jacen. Et certain que tu feras du bon boulot. En matière de négociations, tu as un don… Ta mère serait fière de toi. Elle n’a pas réussi à convaincre les Impériaux, alors qu’elle est une des meilleures diplomates que la Nouvelle République ait jamais connues…

— Merci du compliment. Pour être juste, lors de la dernière intervention de ma mère, les Impériaux n’avaient pas les Yuuzhan Vong à leurs trousses… Ce genre de situation rend les gens plus accessibles à la persuasion…

— Trêve de fausse modestie, Jacen, intervint Mara. Tiens-nous au courant de la tournure des négociations, et du rétablissement de Gilad. N’oublie pas, tu peux compter sur nous en toutes occasions. En cas de nécessité, nous te rejoindrons très vite, et nous serons prêts à nous battre.

— J’espère ne pas en arriver là… Il se passera peut-être des heures avant que Berrida ou Flennic nous recontacte. A moins qu’ils décident de se retourner contre nous. Dans ce cas, vous serez vite au courant…

— Ou si les Yuuzhan Vong déboulent…

La petite phrase de Mara fut suivie d’un long silence. Jacen avait évoqué cette possibilité pour étayer ses arguments… Mais plus il y pensait, plus la venue de la flotte ennemie lui paraissait vraisemblable. Les Impériaux l’inquiétaient moins, maintenant, que la perspective de se retrouver en première ligne à bord d’une vieille frégate…

Pourtant, sa démarche actuelle lui semblait mieux convenir à un Jedi que le maniement d’un sabre laser ou le pilotage d’une aile X. Au début, il avait tenu l’étape des Vestiges de l’Empire pour un simple arrêt sur le chemin de Zonama Sekot. Mais ce serait peut-être beaucoup plus que ça…

Venait-il de se découvrir une nouvelle vocation ?

Mais sans Gilad Pellaeon pour le soutenir, il n’imaginait pas réussir à ramener les Impériaux à la raison… L’officier qui avait succédé au Grand Amiral serait trop occupé à consolider sa position pour l’écouter. Et plus il prendrait ses marques, s’installant dans ses nouvelles fonctions, moins il serait disposé à y renoncer.

Rétablissez-vous vite, amiral, pensa Jacen. Profitez de ce moment de répit… C’est peut-être l’œil d’un terrible cyclone…

 

— Ça a changé…

La voix de la mère d’Anakin arracha Tahiri à ses rêveries. Au cours de la descente rapide du Faucon Millenium, elle avait observé les océans grisâtres de Galantos. Elle détourna les yeux de la baie en transpacier pour regarder Leia, assise à la place du copilote, près de Yan.

— Pardon ?

— Galantos a changé par rapport à la dernière fois…

Tahiri jeta un coup d’œil à la planète.

— J’ignorais que vous y aviez fait un tour…

— Pas moi, mais Borsk Fey’lya… Il y a quelque temps, alors que je faisais encore partie du Conseil, il m’a envoyé des rapports. Si je me souviens bien, il n’aimait guère cet endroit. Il ne s’entendait pas avec les autochtones.

— Je ne vois pas pourquoi…, grommela Yan, ironique. Avec leur verbiage, ces gens pourraient assommer un commerçant toydarien !

— C’est leur façon de faire, dit Leia. Ils jugeraient certainement la tienne tout aussi étrange.

— Au moins, j’agis ! Je trouve étonnant, d’ailleurs, qu’il y ait eu des changements par ici ! Comment ont-ils pu arrêter de discuter pour se mettre au boulot ?

— D’une façon ou d’une autre, ils y sont arrivés…, lâcha Leia en désignant l’écran de sa console. Cette ville-là ne figure pas sur nos cartes. Ni celle-ci…

Pendant le voyage, Tahiri avait étoffé ses connaissances géographiques sur Galantos. Le « sol » étant instable, les cités, des sphères aplaties, reposaient sur des stabilisateurs qui amortissaient les secousses sismiques. Les habitants sentaient-ils sans cesse les vibrations sous leurs pieds ? L’idée même suffisait à flanquer le mal de mer à Tahiri.

— Bon, ils ont retroussé leurs manches, fit Yan. A l’évidence, rejoindre la Nouvelle République leur a réussi. Même si ça ne leur a pas encore appris à communiquer…

Guidé par les balises de navigation, le Faucon atterrit sur un tarmac circulaire, au sommet d’Arsolib’minet’ri. Il n’y avait pas d’autres vaisseaux spatiaux en vue, seulement des avions. La croûte terrestre molle de la planète, qui compliquait les transports par voie de surface, avait ralenti le développement des Fia – jusqu’à la découverte, deux siècles plus tôt, des montgolfières. A présent, d’énormes zepelins vert’bo assuraient le transit régulier des têtes de bétail et des autres marchandises.

Le Faucon se posa devant une petite délégation. Dès que les bourdonnements des moteurs baissèrent, et que la rampe d’accès fut déployée, un orchestre joua une étrange mélodie, mélange de sifflements aigus et de sons répétitifs.

Tahiri suivit les parents d’Anakin le long de la rampe d’accès. Les gardes du corps noghris ouvraient l’œil, prêts à intervenir au moindre signe de danger.

Non loin de là, la griffe de Jag Fel avait également atterri. Le contrôle d’Al’solib’minet’ri avait accepté qu’il se joigne au détachement – après un long interrogatoire en règle de Mayn… Tahiri se sentait désolée pour elle.

Sous le regard intrigué de la délégation, le pilote chiss rejoignit ses camarades d’un pas assuré.

Le visage tout en longueur, les Fia aux pieds palmés étaient petits et ronds.

— Bienvenue sur Galantos ! s’écria une Fia en agitant ses bras démesurés.

Bien qu’à peine plus grosse qu’une Ewok, elle gesticulait tant que Tahiri recula d’instinct. Puis la jeune femme s’avisa que ces moulinets exprimaient de l’enthousiasme.

— Je suis le primat Persha, annonça la Fia d’une voix haut perchée pourtant mélodieuse. (Elle parlait très fort pour couvrir les couinements étouffés de ses semblables.) Au nom du conseiller Jobath, j’aimerais souhaiter la bienvenue sur Galantos à Leia Organa Solo, Yan Solo, Tahiri Veila, Jagged Fel et C-3PO, droïd de protocole. Votre visite est pour nous un honneur inattendu et un privilège !

Souriante, Leia s’inclina.

— Le conseiller Jobath n’a pas pu se libérer ?

— Hélas, non, répondit la Fia. Il avait un rendez-vous urgent à Gal’fian’deprisi. Mais il promet d’être là aussi vite que possible, et il m’a chargée de vous transmettre ses salutations les plus chaleureuses et respectueuses. Il espère que votre séjour sera agréable et fructueux. Nous vous avons réservé notre plus belle suite diplomatique, et nous nous efforcerons d’exaucer vos moindres désirs. De grâce, n’hésitez pas à nous faire part de vos souhaits et à nous signaler ce qui vous manque, de jour comme de nuit. Mon assistant, Thrum, et moi serons trop heureux de vous satisfaire.

D’une de ses petites mains palmées, la Fia leur fit signe de la suivre puis fendit la foule de ses congénères aux mines béates déconcertantes.

Les Fia ? Un peuple inoffensif dont les gesticulations juraient avec sa nature par ailleurs des plus placides. Alors que le primat Persha se lançait dans un monologue pour décrire de quelle façon son assistant et elle pourraient être contactés durant les deux jours à venir, Tahiri n’écouta plus. Au fil des montées dans l’aigu du timbre de voix de Persha, les mots se vidèrent de tout leur sens.

Mais Tahiri doutait que ce fût une grande perte…

Persha les guida vers un ascenseur. Quand les portes se refermèrent, C-3PO vacilla et bouscula Tahiri.

— Pardon, maîtresse, dit-il. Toute cette agitation est perturbante pour un droïd de protocole comme moi.

— Il n’y a pas de mal C-3PO…

Persha parlait maintenant de la joie des Fia face à la visite inattendue d’augustes dignitaires sur leur monde trop souvent ignoré. Surtout alors que galaxie était menacée de toute part.

— Je n’aurais jamais cru rencontrer quelqu’un de plus volubile que toi, C-3PO…

Les composants du « visage » du droïd ne lui permettaient pas d’avoir des expressions. Mais à la façon dont il inclina la tête, Tahiri devina qu’il n’avait pas vraiment saisi sa petite plaisanterie.

Les suites diplomatiques d’Al’solib’minet’ri étaient cossues et bien aménagées. Malgré leur relatif isolement et quelques autres inconvénients, les Fia ne regardaient pas à la dépense quand il s’agissait d’hospitalité. Des panneaux blancs ornés de frises animalières habillaient les murs de la pièce réservée à Tahiri. Si les images semblaient étranges, la technique picturale était remarquable…

Après avoir découvert leurs luxueuses suites, les visiteurs passèrent au salon. Accédant gracieusement à leur demande – se reposer un peu – le primat Persha avait pris congé. Après avoir répété des instructions très détaillées sur la façon idoine de présenter des requêtes, quelles qu’elles soient…

— Je serai fichtrement heureux de m’arracher de ce caillou ! grommela Yan quand Tahiri entra.

Elle ne l’avait jamais vu aussi grognon. Etait-ce à cause des Fia, de la proximité de l’Amas de Koomacht… ou des deux ?

Leia sourit.

— Laisse-moi deviner… Cet endroit te flanque la chair de poule, c’est ça ?

Yan lui jeta un regard noir avant de se tourner vers Fel.

— Je t’en prie, Jag, donne-moi une raison de ne pas rester ici, n’importe laquelle !

— Navré, répondit le Chiss. Sur ce coup-là, je ne peux rien pour vous… Leia, je nous ai raccordé au réseau com planétaire et j’ai ouvert une fréquence avec le Selonia. Je crois pouvoir affirmer que notre système de codage est à des années-lumière de la technologie de ces gens.

— Et nos suites ? demanda Leia.

— Truffées de micros, naturellement, répondit Jag. Mais pas de problème : je les ai brouillés. Nous serons tranquilles…

— On a du mal à croire que les Fia aient besoin de matériel d’espionnage, dit Yan. Ils jacassent tellement !

Leia ignora cette remarque.

— Les Fia sont des gens bien. Et ça nous change agréablement des peuples taciturnes. Mais ne va pas croire que ce que je découvre me remplit de joie… (Elle posa un regard pensif sur son mari.) Autant que je déteste l’admettre, tout ça ne me dit rien qui vaille.

— Comment ça ? demanda Tahiri.

Leia se tut, comme si elle sondait la Force en quête d’une réponse. Puis elle secoua la tête, frustrée.

— Je ne sais pas… Tout le monde a l’air ravi de nous voir, et Galantos semble paisible, mais…

— Mais presque trop, pas vrai ? fit Yan.

— Peut-être, admit Leia. Sans parler du black-out des communications… Jag, tu veux bien contacter Mayn et lui demander de se raccorder à l’émetteur-récepteur planétaire ? Quand Galantos a rejoint la Nouvelle République, les Fia en avaient un. Si ce n’est plus le cas, je veux savoir pourquoi. Autrement, que Mayn tente de contacter le réseau inter-secteur le plus proche pour envoyer un message à Mon Calamari. S’il s’agit d’un simple accident technique, nous pourrons régler le problème d’ici sans perdre trop de temps.

— Je suis rudement d’accord, marmonna Yan.

— En attendant, Tahiri et moi partons en balade. (Aussitôt, le droïd doré avança… et s’immobilisa devant le bras tendu de Leia.) Seules, C-3PO !

— Je doute que ce soit conseillé, maîtresse Leia ! Vous aventurer toutes les deux dans…

— Il faut bien que nos hôtes aient un interlocuteur. Sinon, nous semblerions grossiers. (Comme le droïd faisait mine de protester, Leia ajouta :) J’apprécie ta sollicitude, C-3PO, mais elle est sans objet. Tout ira bien. En outre, Yan et Jag auront besoin de toi pour se connecter à l’émetteur-récepteur.

— Mais, maîtresse, je dois vraiment…

— La princesse ne courra aucun danger, assura Cakhmaim, un des Noghris.

— De toute façon, j’aurai Tahiri avec moi. Elle sera sur ses gardes et repérera toute anomalie. Si ma conversation ne l’endort pas…

Ravie de la confiance que la princesse lui faisait, Tahiri sourit.

— Je redoublerai d’efforts pour rester vigilante !

— Soyez prudentes, insista Jag. Et appelez-nous si vous avez besoin de quelque chose, d’accord ?

— Cesse de t’inquiéter, dit Tahiri.

Pourquoi n’arrête-t-il de me dévisager ? pensa-t-elle.

Comment retrouverait-elle son assurance alors que ses proches cachaient si peu leurs doutes ?

— Occupe-toi plutôt des tâches ménagères pendant que nous ferons le travail sérieux, ajouta-t-elle.

Les Noghris sur les talons, Leia et elle sortirent et… firent sursauter les Fia qui étaient restés dans le couloir pour échanger des chuchotements excités.

— Oh, princesse Leia ! s’exclama un Fia au visage lunaire. Vous nous prenez par surprise ! Je suis le primat adjoint Thrum. Je débattais d’un problème mineur avec le personnel diplomatique. Si nous vous avons dérangés, vous m’en voyez navré.

— Pas du tout, répondit Leia. Puis-je connaître la nature de ce… petit problème ?

— Ce n’est rien, assurément… Il y aurait une panne d’électricité dans vos suites, semble-t-il, et nous devons vous prier de…

— … et nous devons à regret vous prier…, corrigea un Fia en se penchant vers son supérieur.

— … et nous devons à regret vous prier d’envisager de changer de…, corrigea Thrum.

— Nous n’avons rien remarqué ! coupa Leia. Mon mari s’est endormi. A son réveil, je lui demanderai de voir ça de plus près. En attendant, j’apprécierais qu’on ne perturbe pas son repos. Après ce long voyage, il est très fatigué.

— Ah, naturellement, Votre Excellence… (Ses bras balayant quasiment le sol, Thrum se fendit d’une profonde révérence.) Nous n’oserions pas déranger le grand Yan Solo pendant un de ses rares moments de repos.

Tahiri dissimula un sourire. « Le problème électrique mineur » concernait forcément les mouchards que Jag venait de brouiller… Devoir s’en passer pour revenir aux bons vieux interrogatoires fleuris frustrait les Fia…

— Merci, dit Leia avec un sourire complice à Tahiri.

Il appréciera votre prévenance. Pour l’instant, si cela vous agrée, mon amie et moi aimerions faire un tour en ville.

Rayonnant de fierté, Thrum bomba le torse.

— Naturellement, Excellence ! Nous adorerions vous faire découvrir notre magnifique cité. (D’un claquement de doigts, il dispersa ses collègues.) Je vais avertir le conseiller…

— Ça prendrait trop de temps, lâcha Leia en se mettant en chemin. (Le Fia dut courir pour la rattraper.) Et je ne suis pas d’humeur à attendre. Comme je le disais, le voyage fut long, et j’ai vraiment besoin de me dégourdir les jambes. Pourquoi ne me feriez-vous pas visiter votre ville, primat adjoint Thrum ? Ça faciliterait tellement les choses…

— Mais et le conseiller Jobath ? Et le primat Persha ? Je devrai les informer de…

— Ils nous rejoindront dès qu’ils en auront le temps, je n’en doute pas. Quand on est resté des jours entiers confiné dans vieux un vaisseau, on a vraiment besoin d’exercice et d’air frais ! (Elle tourna au hasard dans un couloir.) Bon… Qu’avons-nous là ? Je ne crois pas que nous soyons arrivés par là. J’aime bien cette architecture intérieure, j’avoue. Simple mais élégante. Ces corridors rappellent-ils à dessein le style de l’Ancienne République ou est-ce l’effet du hasard… ?

Ainsi lancée, Leia ne laissa pas au Fia le temps d’en placer une. Et encore moins de protester.

Tahiri savoura cet instant, ravie de voir que Thrum avait trouvé à qui parler… Croisant le regard de la jeune femme par-dessus le petit dignitaire, la princesse leva un sourcil pour l’inviter à prendre discrètement un autre couloir. Après une courte hésitation, Tahiri s’éclipsa.

La voix de Leia mourut dans le lointain. La main sur le sabre laser accroché à sa taille, Tahiri étendit ses perceptions. Dans le complexe diplomatique, un grand silence régnait. Les lieux étaient quasiment déserts. La jeune femme n’en fut pas autrement surprise. Malgré la richesse de son sous-sol, Galantos recevait peu de visites. Du coup, ce secteur devait être vide la plupart du temps. La mauvaise opinion de Borsk Fey’lya sur Galantos, des années plus tôt, avait incité les diplomates de la Nouvelle République à éviter la planète. Aucun autre conseiller n’avait daigné y faire un tour. Après la crise avec les Yevethas, Galantos n’était pas devenue plus populaire…

Alors pourquoi les Fia auraient-ils investi tant d’argent pour recevoir des visiteurs inexistants ? se demanda Tahiri. C’était absurde ! Les bâtiments étaient flambant neuf ! Pourquoi cette frénésie immobilière ? Surtout au milieu d’une guerre ?

Partant du principe qu’elle était sous surveillance, Tahiri s’abstint de s’introduire dans des pièces. Elle soupçonnait ces suites d’avoir été récemment occupées. Mais par qui ?

En revenant sur ses pas, dès qu’elle aurait fini son exploration, elle jetterait quand même un coup d’œil dans les pièces.

Elle remonta des couloirs jusqu’au corps de garde qui se dressait comme une ligne de démarcation entre le complexe diplomatique et le reste de l’agglomération. Deux soldats débattaient de récents changements du règlement. Ils ne paraissaient pas s’être aperçus de sa présence. Utilisant la Force, elle les encouragea à quitter leur poste un moment, le temps de s’assurer que personne ne rôdait dans ce couloir, là-bas…

Tahiri avança d’une démarche nonchalante. Au-delà du périmètre de sécurité, on entendait le brouhaha typique d’une ville. Ici, les dédales de couloirs étaient plus sobres et fonctionnels. Mais la lumière naturelle du jour y filtrait davantage qu’ailleurs.

Les Fia, des fonctionnaires, à voir leur tenue, remarquèrent l’intruse, mais ils ne cherchèrent pas à l’intercepter. Mais certains l’évitaient en faisant de grands détours, comme si la voir longer ces couloirs les inquiétait.

Cela troubla un peu plus Tahiri. Pourquoi les Fia avaient-ils peur d’elle ? Ils ne la redoutaient peut-être pas elle, s’effrayant simplement de voir une humaine lâchée dans leur cité. Quoi qu’il en soit, que trouvaient-ils de si terrifiant chez elle ?

Tahiri y réfléchirait plus tard. Puis elle en parlerait aux autres. Pour l’instant, elle s’appliquait à paraître égarée… et intriguée par tout ce qu’elle découvrait. D’un coup d’œil par-dessus son épaule, elle s’assurait régulièrement que des gardes ne fondaient pas sur elle…

Son comlink bipa. Sans s’arrêter de marcher, elle porta son poignet à ses lèvres et lança :

— Oui ?

— Ici Leia… Où es-tu, Tahiri ? Le primat adjoint Thrum s’inquiète. En toute honnêteté, je n’avais pas remarqué que tu n’étais plus avec nous. J’étais si fascinée par notre promenade…

Amusée, Tahiri entra dans le jeu.

— Navrée. J’aurais dû appeler… J’étais revenue sur mes pas pour prendre quelque chose dans ma chambre.

En voulant vous rattraper, j’ai dû tourner au mauvais endroit.

— Aimerais-tu qu’on envoie quelqu’un te chercher ?

— Non, tout va bien. Je retrouverai mon chemin sans difficulté.

— Tu en es certaine ?

En bruit de fond, Tahiri entendit Thrum babiller.

— J’appellerai si je n’arrive pas à rebrousser chemin. En attendant, tout ira bien.

Que répondre à ça ? Aucun criminel évadé ne menaçait les passants… La jeune femme « égarée » était dans un complexe gouvernemental grouillant de fonctionnaires… Et Thrum pouvait difficilement insister pour qu’elle rentre au plus vite sous prétexte qu’elle rendait les Fia nerveux !

— Entendu, Tahiri, dit Leia. Reviens quand tu seras fatiguée. Il faut profiter de sa jeunesse, c’est ma devise. Et je suis sûre que le primat adjoint Thrum serait d’accord avec moi.

La communication coupée, Tahiri imagina la frustration du Fia devant la faconde de Leia…

A cet instant, elle prit conscience d’un fait des plus curieux. Les Fia qu’elle croisait étaient loin de jacasser à bâtons rompus comme le primat Persha ou son adjoint… Certes, ils parlaient de leur travail, mais rien de plus. De là à en déduire que les bavardages des autres Fia étaient un moyen d’éviter les questions embarrassantes…

Tahiri continua un peu avant de comprendre qu’elle n’apprendrait rien de plus. Les couloirs étaient tous bâtis sur le même modèle, et les portes n’ouvraient sur rien de plus passionnant que des remises ou des bureaux. Ignorant ce qu’elle cherchait, à part tout indice susceptible d’expliquer le black-out des communications, elle n’avait pas d’objectifs clairement définis.

Décidée à rejoindre ses amis, elle dénicha un ascenseur, descendit de dix niveaux, puis fit un petit tour avant de reprendre le même ascenseur pour remonter au niveau où elle avait commencé son exploration. Dans l’hypothèse où elle serait suivie, elle s’amusa à revenir jusqu’au corps de garde. Les sentinelles, de retour à leur poste, semblèrent immensément soulagées de la voir.

— Maîtresse Veila ! s’écria un des soldats. Vous revoilà !

— Veuillez pardonner notre manque de courtoisie, tout à l’heure, renchérit son collègue en approchant de Tahiri. Nous aurions dû être là pour vous indiquer le chemin.

— Ce n’est rien, voyons ! J’ai fait une agréable balade…

— Je vais vous ramener à votre suite, si vous le permettez. Nous détesterions vous savoir de nouveau égarée.

— Ce ne sera pas nécessaire, fit Tahiri en invoquant son pouvoir hypnotique. Je trouverai mon chemin sans difficulté.

— Je suis sûr que ce ne sera pas nécessaire, approuva le second garde en se campant près de son collègue, qui hocha la tête.

— Oui, elle retrouvera son chemin…

D’un geste, il invita la jeune femme à avancer.

En réalité, Tahiri ne s’était pas vraiment repérée. Mais elle ne retournerait pas immédiatement dans sa suite… De nouveau, elle s’en remettait à ses instincts, non à la logique. Quelqu’un d’autre avait séjourné entre ces murs – elle en était de plus en plus convaincue. Paupières mi-closes, elle laissa son instinct guider ses pas et sentit autour d’elle l’ombre et l’écho de la voix du mystérieux invité des Fia…

Tahiri déboucha dans un long passage qui conduisait à une baie à ciel ouvert.

Mal à l’aise, Tahiri avança, laissant ses mains effleurer chaque porte devant laquelle elle passait. Toutes paraissaient ordinaires. Et pourtant…

… Il y avait bien eu quelqu’un…

La jeune femme s’immobilisa. A la seconde où ses doigts touchèrent la dernière porte, au fond du passage, elle frissonna. D’ordinaire, elle ne pouvait pas capter ainsi l’essence des individus – surtout dans un environnement nouveau… Alors, qu’est-ce qui rendait celui-là si singulier ? Pourquoi, à l’idée de pousser cette porte, avait-elle l’estomac noué ? Que recouvraient au juste les échos qui la troublaient à ce point ?

Reprends-toi, idiote ! Tu es un Chevalier Jedi face à une pièce vide… Il n’y a rien d’effrayant. Ta peur est sans objet.

Dès qu’elle effleura le digicode, la porte coulissa. La preuve qu’elle ne gardait aucun secret… Pourtant, la mystérieuse présence se fit plus forte…

Tahiri frémit.

Dans le lointain, elle crut entendre des voix l’appeler. Surmontant ses craintes, elle entra. Ses gestes étaient lents et empruntés, comme si elle pataugeait dans un marécage minban.

La pièce était déserte. Mais loin d’être vide, cependant… L’énigmatique aura était maintenant si puissante que Tahiri eut l’impression que son corps menaçait d’imploser. Un malaise si grave, en cet instant, qu’en finir aurait été un soulagement.

Elle approcha du lit, souleva la courtepointe puis, ne trouvant rien, chercha sous le sommier.

Là !

Le bras tendu, elle réussit à attraper du bout des doigts le petit objet argenté qui gisait sur le sol poussiéreux.

Les jambes coupées, Tahiri se débattit contre les ténèbres qui menaçaient de l’engloutir.

Voilà ce qui l’avait tant attirée !

Et d’autres voix fantomatiques l’appelaient à leur tour…

— Maîtresse Veila ! Ça va ?

Etait-ce un Fia ? Elle n’aurait su le dire. Elle luttait si fort contre l’évanouissement…

— Venez avec nous. Vous ne devriez pas être là !

Alors qu’elle ne semblait plus du tout maîtresse d’elle-même, Tahiri réussit pourtant à obéir. Ses mouvements aussi maladroits et saccadés que ceux d’une marionnette, elle avait l’impression d’être perdue dans une nappe de brouillard.

Se tournant, elle découvrit trois gardes sur le seuil de la porte. L’un d’eux la prit par le bras pour la guider dans le couloir. Les Fia parlaient sans qu’elle comprenne le sens de leurs propos. Un peu comme si elle était dissociée de son propre corps. Détachée de tout, elle suivait la scène, devenue une simple spectatrice…

Et tout ça à cause de ce qu’elle serrait dans son poing…

Elle leva le bras pour inspecter sa trouvaille. Sous la dorure, le matériau, inconnu de Tahiri, était sculpté en forme de méduse aux tentacules caractéristiques – une sorte de croisement déroutant entre une limace umgullienne et un Sarlacc…

Mais elle savait de quoi il s’agissait.

Une statuette du dieu yuuzhan vong, Yun-Yammka, le Tueur.

Un cri de détresse monta du plus profond de Tahiri – dans une langue qu’elle n’était pas censée parler…

Ukla-na vissa crai !

Elle serra la statuette contre sa poitrine et s’évanouit.

 

La semaine qui suivit la narration d’I’pan, Nom Anor accompagna le Honteux dans les niveaux supérieurs, où ses différentes missions l’appelaient. Grâce à ses connaissances des codes de sécurité, il pouvait s’approprier les matériaux bruts dont les Honteux avaient besoin pour construire leur nouveau foyer – et auxquels, jusque-là, ils n’avaient pas eu accès.

Lentement mais sûrement, les réprouvés devenaient ses obligés. Sans lui, ils n’auraient jamais pu mener une telle existence. Nom Anor leur avait fourni les lambents qui les éclairaient quand les globes bioluminescents tombaient en panne, les arksh qui les réchauffaient par les nuits glaciales, et le h’merrig, un processeur biologique qui les nourrissait… Il les avait volés sans s’inquiéter des retombées sur l’effort de guerre de Shimrra…

Pour l’instant, une seule chose comptait : s’attirer la confiance de ses nouveaux compagnons. Si ses « apports » y contribuaient, ça ne suffisait pas à endormir la méfiance de tous… A commencer par Kunra, qui doutait toujours de ses motivations.

Mais pour l’heure, peu importait. Il était de nouveau en mission avec I’pan. Et cette fois, s’attirer les bonnes grâces des Honteux était à cent lieues de ses préoccupations.

Car il poursuivait un tout autre but…

— C’est encore loin ? grommela-t-il, irrité, en se faufilant entre deux énormes canalisations.

— Nous y sommes presque.

Jetant des regards à la ronde, I’pan se repéra, puis approcha d’un petit orifice, dans une paroi. Derrière courait un tunnel en ferrobéton conçu à l’origine pour donner accès aux droïds de maintenance à un entrelacs de câbles et de conduites. Le tunnel s’incurvait légèrement vers la gauche et ne disposait pas d’entrées ou de sorties autres que celles que des explorateurs avaient percées dans le ferrobéton. Autant que Nom Anor pût dire, ce passage pouvait faire le tour de cette misérable planète !

A mi-parcours, son compagnon et lui tombèrent sur les restes rouillés d’un droïd couché sur le flanc, calciné et dépouillé de ses composants utiles.

Nom Anor dégagea la voie d’un coup de pied.

Bientôt, ils atteignirent une fissure latérale du tunnel. I’pan posa un doigt noueux sur ses lèvres. Puis il s’engagea dans la fissure. Redoutant un piège, Nom Anor guetta impatiemment son retour. Dans ces lieux abominables qui s’étiraient à perte de vue, chercher une cachette eût été vain.

I’pan revint et lui fit signe.

— Ils ne sont pas encore là, dit-il. Nous attendrons.

Nom Anor suivit le Honteux dans le sous-sol. Bien qu’ayant passé des années chez les infidèles, il se sentait toujours oppressé par les angles droits, les étendues planes et les coins parfaits qui caractérisaient leur architecture. Dans la nature, rien ne possédait de propriétés semblables. On eût dit que le concept même visait à aspirer les forces vives des occupants de ces lieux impies, comme pour remplir ce vide terrifiant…

L’unique porte de la salle était verrouillée de l’extérieur. A condition d’être patient, se rappela Nom Anor, il serait bientôt à l’abri dans le fouillis rassurant des niveaux les plus profonds.

I’pan se laissa tomber au pied d’un mur. Ainsi recroquevillé dans l’ombre, il ressemblait à un tas de détritus. Jetant son dévolu sur un tapis vurruk – quelqu’un avait en vain tenté d’embellir la pièce en en plantant un –, Nom Anor fit des exercices respiratoires, histoire de passer le temps. Il était en bien meilleure forme qu’avant la mission d’Ebaq 9. Jusqu’à ce que quelques semaines d’exercice remettent les pendules à l’heure, il n’avait pas remarqué à quel point des années de tension permanente avaient miné son corps. Il se sentait plus jeune que jamais. L’exil et la disgrâce étaient pénibles à supporter, mais sur un plan physique, il n’avait qu’à s’en féliciter.

Des frottements, à l’autre bout de la salle, le tirèrent de sa méditation. I’pan et lui se levèrent à l’instant où le verrou cliquetait. La porte s’ouvrit sur trois silhouettes. Le plus grand Vong se campa devant I’pan et riva un regard critique sur Nom Anor.

Il lui tendit un sac sans dire un mot.

I’pan le prit.

— Aam, T’iess, Shoon-mi… Je vous amène quelqu’un qui souhaiterait en savoir davantage sur les Jeedai.

Les trois Honteux étudièrent Nom Anor. A l’évidence, ils ne le reconnaissaient pas… Mais lui savait à qui il avait affaire. Des travailleurs de force… I’pan lui avait précisé que ces trois-là n’appartenaient pas à un groupe dissident. Ces communautés étaient plutôt rares, même avec la propagation de l’hérésie Jedi.

— Son nom est…, commença I’pan.

Le bousculant, Nom Anor avança.

— Je suis Amorm, dit-il.

Une précaution élémentaire pour mieux dissimuler son existence passée – et limiter les risques que Shimrra sache qu’il avait survécu.

— Je m’appelle Shoon-mi. Je suis le frère de clan de Niiriit. Quand elle fut frappée de disgrâce, je l’ai aidée à s’enfuir. Elle vous a parlé de moi ?

Jamais…

Nom Anor lut dans le regard triste du Honteux une soif avide d’honorabilité… Il connaissait ce type de Yuuzhan Vong : la disgrâce de Niiriit ayant rejailli sur ses proches, Shoon-mi avait le courage de résister discrètement à l’ordre établi – sans avoir celui de lui tourner définitivement le dos.

— Elle m’a parlé de bien des choses, éluda Nom Anor. Vous suivriez aussi la voie des Jedi ?

C’était en grande partie vrai : Niiriit avait évoqué une personne proche de la surface et adepte d’une version légèrement modifiée de l’hérésie. Nom Anor et elle avaient souvent débattu des Jedi. Pas une fois elle n’avait mentionné sa relation avec Shoon-mi… Sa dévotion l’incitait-elle à brûler les ponts derrière elle ? Y compris les sentiments qu’elle avait pu avoir jadis pour Kunra ?

— Je crois ce que j’entends, répondit Shoon-mi, circonspect.

— A savoir ?

— Ce n’est ni l’heure ni l’endroit ! coupa un des deux autres Honteux. Nous devons être de retour à…

— Vas-y, T’iess, dit Shoon-mi. Dis à Sh’simm que nous sommes retenus dans un champ de corail yorik. Ceci est plus important. Et ce lieu convient aussi bien qu’un autre.

T’iess hocha la tête puis s’éclipsa après un dernier coup d’œil à Nom Anor.

— Ne courons pas de risques inutiles, dit ce dernier.

— Personne ne s’apercevra de notre absence, assura Aam. A la surface, c’est le chaos. Le mal qui affecte le dhuryam, quoi qu’il puisse être, provoque encore de graves troubles. Ceux qu’on accuse des erreurs ou des incompétences commises par leurs supérieurs rejoignent en masse nos rangs…

Nom Anor allait de surprise en surprise. Aam souffrait d’une autre forme de folie, et il en appelait carrément à la rébellion ! Si on lui avait dit que des Yuuzhan Vong en arriveraient là ! Même au sein des Honteux !

— I’pan m’a raconté ce qu’il a entendu sur Duro. Mais il y aurait des divergences entre sa version et la vôtre…

Shoon-mi hocha la tête.

— Dans la sienne, Mezhan Kwaad a abattu Vua Rapuung. Mais à ce qu’on m’a dit, il aurait survécu et se serait sacrifié pour faciliter la fuite des Jeedai. J’ai aussi entendu dire que son propre frère l’aurait achevé… Hul Rapuung était tout disposé à croire que Mezhan Kwaad l’avait intentionnellement couvert de honte, mais de là à accepter des Jeedai comme alliés… C’était trop lui demander ! Vua mort, ses partisans tuèrent Hul. Et les Jeedai purent prendre la fuite.

— Quoi qu’il en soit, dit Nom Anor, le message reste fondamentalement le même, n’est-ce pas ?

— Les divergences ne s’arrêtent pas là. Les Jeedai sont accusés d’avoir utilisé le feu lors de l’attaque des installations de Yavin 4. Une abomination de premier ordre ! Tous ceux qui entendent cette histoire préfèrent l’oublier très vite plutôt que d’y réfléchir, ne serait-ce que pour mieux comprendre la voie des Jeedai. Car la compréhension est vitale. C’est la clé de tout ! Anakin Solo a prouvé qu’il était bien plus qu’un simple infidèle. Quand sa fratrie fut en danger, il s’est glorieusement sacrifié pour la sauver. Il n’a pas eu peur de mourir. Vous et moi, nous savons que ce ne sont pas là des actes d’infidèles primitifs… Il s’agit au contraire de stratégies adaptatives – des stratégies dont nous pouvons beaucoup apprendre.

Nom Anor acquiesça. Cette version-là de la mort de Vua Rapuung correspondait davantage à ses souvenirs. Les archives ne faisaient pas état de soulèvement généralisé, ni d’affrontements entre les tenants de différentes idéologies. Cela dit, Shoon-mi n’avait pas mentionné non plus le massacre des Honteux, sur Yavin 4… Mais sur un plan purement mythique, la mort d’un millier de parias n’était rien comparée à celle d’un seul guerrier digne de ce nom.

Que Nom Anor ait refusé de relever le défi lancé par le grand Anakin Solo… Voilà qui ne serait jamais rendu public ! Armé du blaster d’un infidèle, l’exécuteur avait abattu un bataillon de guerriers afin d’enterrer ce secret avec eux…

— Où avez-vous entendu ça ? demanda-t-il.

— Il le sait par moi, intervint Aam. Je le tiens d’un de nos camarades qui ont servi sur Garqi.

— Et d’où le tenait-il ?

Le front plissé, Aam haussa les épaules.

— Je ne saurais le dire… Pourquoi cette question ?

— Savoir qu’il circule deux versions si opposées des mêmes événements m’intrigue beaucoup, voilà tout. D’autant plus que les faits ne remontent pas à un lointain passé… Une de ces deux versions doit être partiellement erronée – cela ne signifiant pas pour autant que l’autre est entièrement vraie. Après tout, si l’une repose sur des méprises, pourquoi pas les deux ?

— Elles se recoupent suffisamment pour me convaincre que les bases sont fiables, répondit Shoon-mi. Vous savez à quelle vitesse les rumeurs varient. Le bouche à oreille déforme tout… Mais ça n’altère pas le fond de l’histoire.

Pensif, Nom Anor hocha la tête.

— Mais alors, quelle version est la plus digne de foi ? A quel type de Jedi devrais-je m’en remettre ? A celui qui utilise le feu ou à celui qui s’en abstient ?

— Vous devez suivre votre instinct, conseilla Aam.

Nom Anor lui jeta un coup d’œil méprisant. Devoir côtoyer de tels rebuts le mettait hors de lui… Quelques mois plus tôt, il n’aurait pas accordé une pensée à ce type de misérable.

Il se tourna vers Shoon-mi.

— J’aurais préféré remonter l’histoire jusqu’à sa source, et retrouver son premier narrateur, sur Yavin 4. Le témoin oculaire de ces événements, celui qui a eu le courage d’en parler ensuite autour de lui…

— J’ignore son nom, répondit Shoon-mi.

— On ne l’a jamais mentionné dans votre version ?

Le frère de Niiriit secoua la tête.

— Sinon, je m’en souviendrais… Cette personne serait aussi célèbre que Vua Rapuung.

Et tout aussi morte…, pensa Nom Anor.

Répandre des histoires d’hérétiques était une chose, admettre qu’on avait violé un ordre du maître de guerre Tsavong Lah en était une autre…

— Existe-t-il d’autres divergences ?

— La date des événements diffère, répondit Aam.

— Je sais. D’après la première version, ça se serait passé quand Yavin 4 était encore entre les mains des Jedi. Et ça ne vous préoccupe pas ?

— Pas vraiment, assura Aam. Les histoires s’altèrent parfois d’elles-mêmes. Je serais plus enclin au soupçon si toutes les versions concordaient.

— Combien de gens répandent ces histoires, à votre connaissance ?

— Chacun les confie à ses amis, qui les répètent à ceux en qui ils ont confiance… C’est ainsi que les rumeurs volent de bouche en bouche. Les incertitudes ont de quoi frustrer les amateurs de vérité, c’est juste. Mais elles nous protègent aussi.

C’était indéniable… Sinon, le mythe des Jedi ne se serait jamais assez répandu pour parvenir aux oreilles de Nom Anor… Cela dit, ce n’était pas une excuse valable. S’il décidait d’en informer Shimrra, celui-ci serait furieux. A moins d’être sûr de pouvoir éradiquer le mal, il ne se satisferait jamais de demi-mesures et redouterait toujours une résurgence de cette lèpre. Contrarié, il verrait en Nom Anor la cause première de ses frustrations…

L’hérésie était un cancer invisible qui minait la culture yuuzhan vong. Si les dieux tombaient de leur piédestal, la société vong volerait en éclats. Tout s’effriterait, rongé de l’intérieur…

Il était de son devoir d’en référer à Shimrra. S’en abstenir équivalait à participer à la destruction de tout ce qu’il défendait depuis tant d’années. Au fond de lui pourtant, il se demandait encore s’il n’existait pas un moyen de retourner la situation à son avantage – sans que tout s’écroule sur son crâne…

Quelle ironie… Faire des Jedi l’instrument de sa plus éclatante victoire !

— Amorm ?

L’ancien exécuteur revint au présent. Il s’était laissé absorber par ses pensées, au lieu de suivre la conversation.

— Navré, je me disais que côtoyer si longtemps un Jedi avait dû paraître bien étrange à Vua Rapuung…

— Il y a eu d’autres cas, affirma Aam. J’ai entendu parler d’un Jeedai qui s’était laissé capturer. On n’est jamais venu à bout de sa résistance…

— J’en ai aussi entendu parler, dit I’pan. Il s’appelait Wurth Skidder et il a subjugué un yammosk avant de l’éliminer.

Le Jedi Wurth Skidder avait été prisonnier à bord d’un vaisseau-monde détruit dans le système de Fondor. Avant sa mort, le commandant, Chine-kal, avait envoyé des rapports très prudents. Mais il semblait que Skidder approchait de ses limites au moment où un des groupes les plus irritants et les plus intrépides de la Nouvelle République, les « Douze de Kyp Durron », avaient lancé une opération de sauvetage. Le Jedi Ganner avait réussi à abattre le yammosk, mais sans sauver son ami. Et si Wurth Skidder avait effectivement péri dans l’aventure, il n’avait pas été brisé.

— Mezhan Kwaad n’est pas venu à bout de la résistance du Jeedai modelé, dit Aam.

— Il y a aussi les Jumeaux, ajouta Shoon-mi. Tous les deux ont été faits prisonniers, et tous les deux ont fui… Yun-Yammka n’a jamais pu les briser non plus.

— A vous entendre, ils seraient donc plus puissants que les dieux ?

— Pas nécessairement. Mais les Jeedai en savent peut-être plus sur les dieux que les prêtres.

Quelle témérité ! C’était le cœur de l’hérésie capable, si on poussait le raisonnement jusqu’au bout, de mettre à genoux le peuple yuuzhan vong… A partir du moment où les travailleurs cesseraient d’écouter les prêtres, qui suivraient-ils ? Les guerriers ? Les modeleurs ? Les Jedi ?

Cette dernière hypothèse était une abomination. Nom Anor ne laisserait jamais des infidèles lui dicter sa conduite. Mais il les utiliserait pour atteindre ses objectifs. Démanteler l’hérésie pourrait lui valoir un retour en grâce auprès de Shimrra.

Ou l’hérésie déstabiliserait le règne du seigneur suprême…

Cette méthode n’était pas un processus d’ascension sociale classique pour un Yuuzhan Vong ambitieux. Mais comme les moyens habituels n’étaient plus accessibles à Nom Anor, il devait se tourner vers d’autres tactiques… Il n’en était pas particulièrement fier. Pourtant, il faudrait en passer par là.

— Partons, dit Aam, de plus en plus nerveux.

Nom Anor se demanda si la franchise de Shoon-mi ne l’avait pas troublé…

— Je comprends, dit-il. Mais j’aimerais beaucoup vous revoir. Je voudrais connaître autant de versions que possible de l’histoire de Vua Rapuung. Si vous l’entendez de la bouche de quelqu’un d’autre…

— Nous vous le répéterons, Amorm, promit Shoon-mi. I’pan devrait aussi vous conduire auprès de dame Hrannik…

— Entendu, répondit I’pan. J’en connais deux ou trois autres comme elle. La vérité gagne du terrain.

— La vérité gagne du terrain, répéta Shoon-mi avec une ferveur religieuse.

Prenant rapidement congé, les deux travailleurs sortirent par la porte aux angles abominablement droits.

I’pan ouvrit le sac que Shoon-mi lui avait remis.

— Que contient-il ? demanda Nom Anor.

— De la nourriture et de vieux vêtements… Shoon-mi veille sur sa sœur.

— Pourquoi ne parle-t-elle jamais de lui ?

— Parce qu’elle estime qu’il trahit la vérité, répondit I’pan comme si ça allait de soi. A son avis, il devrait descendre la rejoindre, au lieu de vénérer les anciens dieux du bout des lèvres… Tant qu’il n’aura pas le courage de ses opinions, elle refusera d’admettre jusqu’à son existence.

— Mais accepter ses dons ne la gêne pas…

— Elle n’est pas fière au point de refuser de l’aide. La survie est sa priorité. Sauver son frère de lui-même vient loin derrière…

Nom Anor se souvint de la façon dont les prunelles de Niiriit avaient brillé tandis qu’elle écoutait une fois de plus la fameuse histoire… C’était une fanatique, très dangereuse pour l’ordre établi. Qu’existait-il de plus mortel qu’un guerrier entraîné se retournant contre ses maîtres ?

Les prémices d’un plan lui venant à l’esprit, il sourit sous cape. Il ne lui manquait plus que la source des rumeurs…

— Vous venez ? demanda I’pan, interrompant le fil de ses pensées.

Cette fois, Nom Anor sourit ouvertement.

— Il est temps de rentrer à la maison, fit-il en hochant la tête.

I’pan se faufila par la craquelure et guida son compagnon vers la « maison » à laquelle – selon lui – l’ancien exécuteur faisait référence…

 

Jaina visionna l’holovidéo pour la troisième fois. Elle n’en croyait toujours pas ses yeux – même si son malaise lui confirmait ce qu’elle voyait.

L’holovidéo provenait du contrôle d’Al’solib’minet’ri.

Il avait été détourné vers le Fierté de Sélonia, toujours en orbite, sur une fréquence sécurisée. A la requête de ses parents, Jaina était remontée à bord pour le visionner.

L’enregistrement datait de deux heures. Il avait pour cadre le complexe diplomatique où les Solo résidaient avec Jag, Tahiri et C-3PO.

On y voyait la jeune Jedi remonter un couloir avec un petit contingent de gardes. Selon le rapport de Leia, Tahiri avait fait un petit tour en ville. Et elle avait trompé la vigilance des gardes jusqu’à une salle où on l’avait retrouvée gisant sur le sol. De là, elle avait suivi les agents de la sécurité sans protester, les laissant la ramener dans sa suite.

A leur expression détendue, les Fia ne s’attendaient à aucun problème. Même si leur chef ne semblait pas ravi qu’on ait pu si facilement échapper à leur surveillance.

Sous le regard de Jaina, Tahiri baissa les yeux sur l’objet qu’elle tenait. L’angle de la caméra ne permettait pas de bien le voir, mais la réaction de la jeune femme fut aussi spectaculaire que troublante… Frappée d’une indicible horreur, elle recula comme si un rayon blaster venait de la frapper. Trop vivement pour l’œil de la caméra, elle dégaina son sabre laser et fit des moulinets pour se protéger d’un ennemi invisible. Les gardes s’écartèrent en dégainant à leur tour et leur chef cria un ordre.

Mais Tahiri parut ne pas l’entendre. Les yeux écarquillés, elle regardait à la ronde, comme si elle s’attendait à être attaquée…

Elle fit volte-face pour protéger ses arrières d’un ennemi inexistant.

Déroutés par la tournure des événements, les Fia reculèrent encore. Jaina comprenait parfaitement leurs réactions. A en juger par l’expression de Tahiri, la provoquer, c’était s’exposer au pire…

Un peu plus courageux que ses subalternes, l’officier, qui n’en menait pas large non plus, fit un pas prudent en avant et ordonna à la jeune femme de désactiver son sabre laser. Si elle refusait, ajouta-t-il, il se verrait dans l’obligation d’ouvrir le feu…

Jaina passa au ralenti pour mieux étudier le comportement de Tahiri – qui s’était retournée à demi. Comme si elle découvrait les gardes, elle leur jeta un regard haineux…

Jaina crut qu’elle allait attaquer l’officier. Soudain, comme si elle avait été frappée par un bâton paralysant, ses yeux roulèrent dans leurs orbites et elle s’écroula.

A la seconde où elle lâcha prise, son sabre laser se désactiva et la poignée roula au pied du mur.

Même alors, les gardes restèrent sur la défensive. Le chef manifesta autant de répugnance qu’eux à se rapprocher. Nerveux, il appela des renforts avec son comlink. Quand les Fia trouvèrent le courage de pousser Tahiri du bout d’une botte, celle-ci ne réagit pas. En présence de renforts, lorsqu’elle revint à elle, visiblement perdue, elle ne protesta pas de se voir traiter comme une dangereuse criminelle et ne résista pas davantage quand on la hissa sur un véhicule antigrav. Un médic l’ausculta. Peu après, elle sombra dans un profond sommeil dont personne ne parvint à la tirer.

Dès que l’entourage de Tahiri fut averti, tout le monde accourut.

— Est-elle blessée ? demanda Leia au paramédic.

— Non. A première vue, c’est un simple évanouissement.

Le chef de la garde expliqua que Tahiri avait dégainé son sabre laser sans provocation. Mais pourquoi diable aurait-elle fait cela ? Devant l’insistance de Leia, le Fia lâcha :

— C’est bien là le problème… Je ne crois pas qu’elle s’en prenait à nous.

Quand Leia le pria d’être plus précis, il n’y parvint pas.

Mais Jaina savait déjà ce qu’il voulait dire…

Même si les prises de vue ne permettaient pas toujours de bien voir Tahiri, la conviction de Jaina était faite : la jeune femme n’avait pas affronté ces gardes mais… autre chose.

Tahiri avait apparemment manié son sabre laser contre les Fia, mais son attention était rivée sur une entité invisible.

Laquelle ?

Comment savoir ?

Faisant appel à toute son autorité diplomatique, Leia persuada le primat adjoint Thrum, le médic et les gardes que Tahiri se remettrait mieux de ses émotions dans leur suite, au calme, où elle serait plus longuement examinée.

Le petit groupe avait ensuite remonté les couloirs déserts de la résidence pour rejoindre Yan Solo et C-3PO. Là, Leia avait insisté pour qu’on les laisse en paix, afin qu’ils puissent s’occuper de la malade en toute tranquillité. Les Fia accédèrent à sa requête – avec des réserves marquées.

Même de sa position, en orbite, Jaina voyait clairement que le primat adjoint n’était pas entièrement convaincu… Il doutait que ce fût la meilleure chose à faire.

Le pauvre avait mission de garder les visiteurs à l’œil. Après l’excursion sauvage de Tahiri dans des secteurs interdits et le brouillage des mouchards, il ne volait pas de succès en succès…

La vie de Tahiri n’étant pas en danger, Leia avait aussitôt contacté sa fille pour la rassurer. Comme le Fia en charge du droïd médical l’avait diagnostiqué, la jeune femme était simplement inconsciente. Jaina pensa aussitôt que quitter Coruscant n’avait pas suffi à faire disparaître la maladie de son amie – de quelque nature qu’elle fût. Leia aussi reconnut qu’elle avait espéré que la distraire lui aurait fait oublier ses états d’âme…

— Mais j’en attends peut-être trop, soupira la princesse. Il est trop tôt, sans doute…

Attribuer l’incident au stress ?

Jaina était dubitative…

— Maman, je doute que ce soit uniquement dans sa tête…

— Il s’agirait d’une fluctuation dans la Force, à ton avis ?

— Honnêtement, je l’ignore. Si c’est le cas, tu ne la captes pas, tant elle est subtile… (Etre si loin de son amie malade frustrait Jaina.) Après la mort d’Ikrit, elle est restée longtemps sans maître. Qui sait ce qui lui passe par la tête ?

— Luke n’en aurait pas fait un Chevalier Jedi sans être certain qu’elle était équilibrée, répondit Leia.

Mais son ton manquait de conviction.

C-3PO annonça qu’il avait réussi à accéder à un holo de sécurité antérieur à l’évanouissement de Tahiri. Et juste à temps ! Les Fia venaient de le transférer dans un domaine où le droïd n’avait pas accès. A l’évidence, ils devenaient très susceptibles face à la curiosité insatiable de leurs invités…

De plus en plus mystifiés, Jaina et les autres visionnèrent l’holovidéo.

— Tahiri a l’air terrifiée, dit Jaina sur la fréquence sécurisée qu’elle partageait avec sa famille.

— Mais de quoi ? demanda Yan. Il n’y a que les gardes… Au pire, ils auraient pu l’assommer… avec le détail des procédures qu’elle aurait dû respecter…

— En tout cas, fit Leia, quelque chose l’épouvante…

— Et nous ne pouvons pas voir quoi…, ajouta Jaina, pensive.

Les choses en restèrent là. Le mieux, pour Tahiri, était de dormir. Les Fia ne l’avaient pas blessée. Sur les scans pris par C-3PO, rien d’insolite n’apparaissait. Il faudrait attendre que la jeune femme reprenne connaissance pour savoir ce qui s’était passé.

Après quelques instants, Leia brisa le silence.

— Et voilà un autre mystère… Les Fia n’ont plus peur des Yevethas.

— Quoi ? s’exclama Yan. Ce serait comme d’être dans le désert de Jundland et de ne pas craindre les dragons krayt !

— C’est bien de toi, ça. Thrum me l’a dit. Quand je lui ai demandé quelles précautions les Fia avaient prises en cas de nouvelle attaque des Yevethas, il m’a répondu « aucune », puisque N’zoth n’était plus un problème.

— Juste comme ça ? fit Yan.

— Je l’ai interrogé à propos des liens diplomatiques, pensant que les Yevethas avaient peut-être changé de philosophie… Mais ils n’ont pas d’ambassade sur Galantos. C’est comme si… (Elle chercha ses mots.) On dirait que les Yevethas ont baissé les bras, se décidant dorénavant à rester dans leur monde…

— Je n’y crois pas une seconde ! dit Yan. Ils sont plutôt du genre à garder profil bas des années en ourdissant secrètement leur revanche… (Il secoua la tête.) Souviens-toi de mes paroles : ils mijotent un coup fourré ! Si j’habitais Galantos, je ne les quitterais pas des yeux !

Jaina partageait l’avis de son père. Les xénophobes purs et durs comme les Yevethas ne s’avouaient pas battus, même après une sévère défaite… Au contraire, ils revenaient à la charge deux fois plus hargneux et trois fois plus déterminés. A tout moment, les Yevethas étaient susceptibles de surgir de l’Amas de Koomacht.

— Vous voulez que j’aille jeter un coup d’œil ? demanda Jaina.

Elle vit ses parents hésiter. Mais ils se décidèrent très vite.

— Ne va pas te faire des ennemis, dit Yan. Tu feras juste un saut, d’accord ? Ne m’oblige pas à venir te chercher !

Jaina sourit.

— Et reviens-nous saine et sauve, ajouta Leia.

L’unique fausse note fut l’œuvre de Jag.

— C’est absurde ! Vous n’envisagez pas sérieusement d’envoyer Jaina chez ces fous !

— Nous ne l’envoyons pas, souligna Leia, elle est volontaire.

— En outre, ajouta Yan, si les Fia disent vrai, le territoire en question sera beaucoup moins dangereux qu’avant.

— Et s’ils mentent ? lança Jag.

— C’est quoi ton problème ? grogna Jaina.

— Ecoute, je ne veux pas dire que tu n’es pas à la hauteur… (Affronter la famille Solo au complet embarrassait le jeune homme.) Je me soucie de l’escadron, voilà tout. Qui le commandera en ton absence ?

— Toi, bien sûr ! Il me faudra deux ou trois heures pour préparer la mission. Ça te laissera le temps de venir me remplacer, pas vrai ?

— J’imagine… (Jag était mal à l’aise et ça ne lui ressemblait pas.) Mais d’abord, si possible, j’ai une chose à faire ici.

— Pas de problème…

— Et tu ne partiras pas seule, n’est-ce pas ?

Comprenant soudain la raison du malaise du Chiss, Jaina sourit. Son souci n’était pas l’escadron, mais elle… Il s’inquiétait pour elle. Sa timide sollicitude fit chaud au cœur à la jeune femme.

— Si ça peut te rassurer… Miza et Jocell viendront avec moi.

Voilà qui le rassurerait… en partie. Ces deux pilotes, de l’Escadron Chiss, étaient des soldats de confiance.

— Bon, reprit Yan, c’est réglé. (Jaina ne put déchiffrer vraiment sa curieuse expression.) Quand tu seras prêt, Jag, j’aimerais t’accompagner pour vérifier que tout est normal avec le Faucon. Je doute que ces types aient eu le temps de le saboter, mais inutile de prendre des risques.

— Je resterai ici avec Tahiri et C-3PO, dit Leia, le front plissé. Bonne chance, chérie. Et écoute ton père ! Ne caresse personne à rebrousse-poil ! Si les Yevethas se sont rendus à la raison, nous aurions bien besoin de leur soutien contre les Yuuzhan Vong.

— Entendu, maman… Je reviendrai vite.

 

— Battre en retraite ? Ce seul mot me donne une furieuse envie de dégainer mon blaster ! (Flennic foudroya Jacen du regard, sans doute pour mieux souligner qu’il ne plaisantait pas.) Aucun de mes subordonnés n’accepterait un ordre de repli sans douter aussitôt de ma santé mentale ! Mes hommes me relèveraient de mon commandement plutôt que d’obéir – et ils auraient entièrement raison !

Exaspéré par les stupidités que débitait son interlocuteur, Jacen se fit pourtant aussi conciliant que possible.

— Moff Flennic, si vous acceptiez d’écouter ce que j’ai à dire…

L’Impérial grogna de dédain.

— … Et vous donner l’occasion d’implanter vos suggestions dans mon esprit ? Je ne suis pas stupide, mon garçon. Ni sénile ! Pour qui me prenez-vous ? Je pourchassais les Eloms des décennies avant que vous veniez au monde !

L’Impérial à la carrure solide, en grand uniforme, arpentait la passerelle de son vaisseau dans un silence tendu.

— Eh bien ? N’allez-vous pas me dire que traquer des formes de vie intelligentes est une violation de votre foutue sensiblerie Jedi ?

Jacen haussa les épaules.

— Ma « sensiblerie » n’appartient qu’à moi. Et je ne souhaite pas vous l’imposer.

— Pourtant, vous voudriez que je fasse ce que vous me dites… N’est-ce pas la même chose, mon garçon ?

— Non. J’expose ce qui, à mon sens, serait la démarche la plus prudente. Bien sûr, ce que vous choisirez de faire ensuite sera de votre ressort.

— Mais si je passe outre vos conseils éclairés, ça ne vous plaira pas. Je me trompe ?

— Si vous ignorez mon avis, les Impériaux seront exterminés, répliqua Jacen. Et non, ça ne me plairait pas…

Une lueur fugace – de l’amusement ? – passant dans ses yeux perçants, Flennic hésita. Puis il recommença à faire les cent pas – de plus en plus lentement.

— Mon garçon, si vous étiez un de mes officiers, je vous aurais déjà fait exécuter pour avoir osé me parler sur ce ton.

Jacen lutta pour conserver son calme. Le Moff braillait d’horreur à la seule idée que son interlocuteur cherche à l’influencer en implantant des suggestions dans son esprit ? Mais il n’avait aucun scrupule, en revanche, à jouer à ses petits jeux de domination mentale… Le recours constant aux mots « mon garçon », sciemment employés pour rabaisser Jacen, visait à ce qu’il se sente insignifiant et incompétent.

Une attitude indigne qui ajoutait aux frustrations du Jedi.

— Moff Flennic…

D’une main levée, l’impérial l’interrompit.

— Je sais ce que vous allez dire. Vous n’êtes pas un de mes officiers. Et vous ne le désireriez pas, j’imagine. Dans le cas contraire, moi non plus, je ne voudrais pas de vous ! Savez-vous pourquoi ?

— En l’occurrence, ça n’a aucune pertinence.

Jacen avait du mal à garder une attitude déférente, car il mourait d’envie d’agripper l’homme par le col de son uniforme pour le secouer et lui hurler de la boucler cinq minutes…

Le Moff s’arrêta de marcher et le dévisagea.

— J’ignore le but de cette conversation, mon garçon. Pourquoi tenez-vous tant à me parler ? A l’évidence, je suis en train de vous faire perdre votre temps. C’est bien le fond de votre pensée, non ?

— Pas une seconde, non… Au contraire, vous savez que ce que je dis est loin d’être absurde, mais vous êtes trop fier pour l’admettre. Et vous cherchez par tous les moyens à vous convaincre que j’ai tort.

— Vraiment ?

— Vous n’êtes pas idiot…, continua Jacen. Réunissez vos pairs, si vous le souhaitez. Répétez-leur mes propos et voyez ce qu’ils ont à dire sur la question. J’aimerais tout particulièrement parler à la Moff Crowal de Valc 7 dans la mesure où elle a peut-être la réponse à une de mes questions.

— A savoir ?

Amusé par l’air soupçonneux de son interlocuteur, Jacen sourit.

— Il s’agit de renseignements, rien de plus… Comprenez que notre séjour, au sein de l’Empire, sera court. Notre mission nous emmènera bientôt ailleurs. Dès que nous aurons ce qu’il nous faut, nous partirons.

— Et vous pensez que Valc 7 serait un lieu idéal de repli pour notre flotte quand nous évacuerons Yaga Minor ?

— En réalité, ce serait la dernière chose à faire. Valc 7 est à la lisière des Régions Inconnues. Reculer si loin, c’est perdre l’Empire. Non, mon choix de repli – l’endroit qui se prête le mieux à tendre une embuscade, si vous préférez –, serait Borosk.

Le Moff se tut un long moment. Jacen suivait sans peine le fil de ses réflexions. Borosk étant un des petits mondes fortifiés qui veillaient sur les frontières de l’Empire, Flennic se demandait s’il s’agissait d’une stratégie élaborée de l’Alliance Galactique visant à reprendre des territoires à son vieil ennemi…

Mais il devait comprendre à quel point l’idée était ridicule ! Si les Vestiges Impériaux perdaient Borosk, ce serait au bénéfice des Yuuzhan Vong, pas de l’Alliance Galactique, qui avait bien d’autres soucis qu’un minuscule système situé aux confins de son quadrant…

Flennic ne trouvant pas d’objections à formuler, Jacen pressa son avantage :

— A condition d’agir vite, vous sauverez Yaga Minor.

L’argument toucha un point sensible. Yaga Minor était le fief de Flennic. Quand ce secteur tomberait entre les mains de l’ennemi – une certitude, si la flotte conservait ses positions –, le Moff aurait tout perdu.

— Expliquez-vous.

— Les Yuuzhan Vong se sont déployés autant qu’il leur était possible. Grâce à notre stratégie de guérilla, leurs effectifs prévus pour attaquer l’Empire sont devenus indispensables dans d’autres secteurs. Ils ne pourront pas se permettre de s’enraciner ici. Donc, vaincre rapidement votre flotte est leur priorité. Où qu’elle aille, ils la traqueront. Une fois qu’ils l’auront éliminée, ils pensent pouvoir détruire sans mal vos chantiers navals.

— Alors que si nous les obligions à partir dès maintenant, ils ne pourraient plus revenir ?

— Ça, je ne peux pas le garantir. Mais s’ils revenaient à l’attaque, ils seraient forcément moins nombreux.

Flennic recommença à tourner en rond.

— Et d’où vous vient la conviction que tendre une embuscade à Borosk marcherait ? demanda-t-il, les yeux baissés.

— De deux points : les espions infiltrés dans vos rangs ne manqueront pas d’en informer leurs vrais chefs, et nous vous montrerons comment combattre les Yuuzhan Vong plus efficacement.

— En échange de quoi ?

— Rien du tout… Mon seul souci est de sauver des vies et de maintenir la stabilité de cette région. Quand la question sera résolue, nous pourrons nous chamailler à propos d’échange de renseignements…

L’Impérial grommela, incrédule.

— La « question » ? A vous entendre, on croirait à des prises de bec au sujet d’un vulgaire astéroïde !

— Sauf votre respect, à l’échelle de la galaxie, c’est exactement à ça que ça se résume… L’Empire gouverne quelques milliers de systèmes parmi des centaines de millions… Oui, vous avez un avantage tactique, et non, je n’aime pas voir des vies perdues sans nécessité. Mais dans le cours des choses, votre disparition ne fera pas une grande différence.

Le sang monta aux joues de Flennic, fou furieux. Jacen obtenait la réaction voulue. Dans la Force, il sentait la tension monter… Quelque chose allait craquer.

S’agirait-il d’une explosion ? Ou d’une implosion ?

L’unité com bipa.

Flennic passa ses nerfs dessus.

— Pas d’interruptions, j’avais dit ! beugla-t-il.

— Mais, monsieur, vous avez un appel de…

— Je me fiche éperdument de qui, imbécile ! Débarrassez-moi de ces raseurs ou je vous fais éjecter dans l’espace sans…

Une autre voix sortit de l’unité, lui coupant la parole.

— Quelle façon de traiter ses subordonnés… Surtout quand vous êtes à bord de mon vaisseau.

En un clin d’œil, Flennic passa du rouge violacé à une pâleur mortelle.

— Grand Amiral ? fit-il, incrédule. Vous êtes… vivant ?

— Naturellement, répondit Pellaeon d’une voix étrangement assourdie mais audible. Il faudra plus qu’un ramassis de Yuuzhan Vong pour me mettre au tapis !

— Mais…

— Quel est le problème, Kurlen ? Vous ne semblez pas ravi de m’entendre. Pourtant, j’aurais cru…

— Ce n’est pas ça ! C’est juste que… je suis… (Se reprenant, le Moff foudroya Jacen du regard.) Comment savoir s’il ne s’agit pas encore d’une de vos illusions de Jedi ?

— Regardez-le, Kurlen, répondit Pellaeon. Il est aussi surpris que vous.

C’était la vérité. Jacen ne s’attendait pas à voir voler à son secours le grand blessé qu’il avait vu immergé dans une cuve bacta et qui semblait si proche de la mort… Ça lui confirmait aussi une chose dont il s’était douté : via son comlink, Pellaeon avait accès à davantage que de simples communications audios… Mais il avait pris soin de ne pas apparaître sur un écran…

— Ravi de vous entendre de nouveau, amiral ! lança Jacen.

— En de meilleures circonstances, Jacen Solo, je partagerais votre sentiment. Merci pour votre soutien, à Bastion. Je dois la vie à un Jedi et je n’oublie jamais mes dettes. J’écouterai volontiers ce que vous avez à dire sur les Yuuzhan Vong – en manifestant beaucoup plus d’intérêt que certains de mes collègues…

— Avec plaisir, Grand Amiral, répondit le jeune homme en évitant de triompher trop ostensiblement.

Même en ayant pour interlocuteur le Grand Amiral Pellaeon en personne, il ne tenait pas à s’aliéner Flennic. L’avenir s’annonçait incertain. Autant se ménager le plus d’ouvertures possibles. Car qui pouvait prédire, en ces temps troublés, d’où viendrait le salut ?

— Une autre fois, peut-être…, continua Pellaeon. Ces derniers jours, je n’ai plus vraiment été dans la course…

Et maintenant, je dois débattre avec le Moff Flennic d’un repli stratégique.

— C’est précisément de ça que nous parlions, dit Kurlen en s’humectant nerveusement les lèvres.

— Vraiment ? Et avez-vous donné vos instructions aux officiers survivants ?

— Eh bien, non, mais…

— Choisi des destinations possibles pour un meilleur regroupement ?

— Borosk m’était venu à l’esprit, répondit Kurlen, en jetant un regard d’avertissement à Jacen.

— Un bon choix. Il n’y a plus une minute à perdre. Plus nous resterons ici les bras ballants, plus nous aurons l’air idiots quand la prochaine vague déferlera sur nous… Les plus grands bâtiments devront appareiller dans une heure au plus tard, en laissant un petit contingent sur place. Je peux m’en remettre à vous ? Le devoir m’appelle ailleurs.

— Hum… Grand Amiral…

— Oui, Kurlen ?

— Vous ne pensez pas qu’il faudrait en discuter d’abord ?

Un long silence suivit. Avec une patience infinie, Jacen regarda le Moff Flennic devenir de plus en plus nerveux.

Puis Pellaeon daigna enfin répondre.

— Comprenez une chose, Kurlen : je viens de vous donner un ordre. Tant que je commanderai la flotte Impériale, vous obéirez quelle que soit votre opinion. Si je dois faire sécession pour assurer la survie de nos vaisseaux, je le ferai sans hésiter. Et nous ne reviendrons pas récupérer ce qu’il restera de vos chantiers navals…

— Je comprends…

— Bien ! Mais je commence à peine… Vous allez de ce pas donner les ordres nécessaires pour que l’Ombre de Jade ait libre accès à ce système, ainsi qu’à tous ceux qui dépendent de l’Empire. Le Conseil des Moffs a sous-estimé la menace yuuzhan vong, contrairement à toutes mes mises en garde. Je ne tolérerai plus qu’on refuse de m’écouter. Il est temps de nous rabattre sur le peu d’avantages qu’il nous reste, pour empêcher que pareille situation ne se reproduise ! Si nous survivons à la bataille de Borosk, l’Alliance Galactique et les Jedi représenteront notre meilleur espoir de survie et j’entends en tirer le meilleur parti. Est-ce bien compris ?

Temporairement maté, le Moff acquiesça.

— La communication doit être faible, Kurlen, je n’ai pas saisi votre réponse.

— Je comprends parfaitement, amiral.

— Excellent. Maintenant, renvoyez notre jeune ami à bord du Faiseur de Veuves. J’aimerais l’interroger sur les Yuuzhan Vong tant que j’en ai l’occasion.

Sans un regard pour Jacen, Flennic activa l’ouverture de la porte. Quand le Jedi s’inclina, le Moff se détourna, l’ignorant complètement.

Soulagé de s’éloigner enfin de cet homme, Jacen gagna rapidement le hangar où l’attendait sa navette.

 

Jaina prit son temps pour se préparer, espérant voir Jag dès qu’il arriverait. Mais une rayure suspecte, sur la carlingue du Faucon, l’avait retenue près du vaisseau. Et elle ne put pas s’attarder davantage. Dès que ses deux ailiers et elle furent en place, l’autorisation de décoller dûment obtenue du Fierté de Sélonia, elle quitta Galantos.

Etre accompagnée par deux griffes la troublait toujours un peu. L’époque n’était pas si lointaine où ce genre d’appareil, analogue aux chasseurs Tie, incarnait l’hostilité et la mort pour les membres de la Rébellion – une époque tumultueuse s’il en fût. Elle était trop jeune pour avoir vécu ça, mais elle avait recueilli assez de témoignages et consulté suffisamment de documents d’archives pour avoir les mêmes instincts. Elle ignorait combien de fois l’Empire avait tenté d’abattre ses parents… Mais c’était impressionnant.

Les quatre ailes des griffes rappelaient les stabilisateurs des ailes X. Parfois, Jaina se demandait si l’Escadron Chiss n’avait pas délibérément configuré ses chasseurs pour troubler et rassurer la Nouvelle République et l’Empire… Un escadron hybride, en quelque sorte, capable de servir l’une ou l’autre puissance.

— Verrouillage sur votre ordinateur de navigation, dit Jocell.

Originaire de Csillia, le berceau des Chiss, la pilote faisait une bonne collègue, très facile à vivre.

Le meilleur pilote des deux, Miza, était aussi le moins fiable – selon Jaina, en tout cas.

— Le dernier à la traîne est une drebin à ligne plate ! lança Miza dans son unité com.

L’expression, qui n’avait rien de chiss, attira aussitôt l’attention de Jaina. Elle pensa deviner d’où Miza la tenait.

— Saut calculé, dit-elle.

La frégate qui accompagnait la mission comptait à son bord des membres d’équipage venus des quatre coins de la galaxie. Quand l’Escadron Soleils Jumeaux n’était pas en patrouille, les pilotes avaient tout loisir de faire plus ample connaissance au carré des officiers et d’acquérir les tics des uns et des autres.

— Restez sur vos gardes, ajouta Jaina. Je nous entraîne à la lisière du système, mais on ne sait jamais quel danger peut guetter dans l’ombre… Même si les Yevethas se sont laissés convaincre des vertus d’une coexistence pacifique avec leurs voisins, ils n’accueilleront pas pour autant à bras ouverts des intrus dans notre genre.

— Compris, répondit Jocell.

— Discrétion est mon deuxième prénom, ajouta Miza.

— Prêt, Cappie ? demanda Jaina. (Son unité R2 pépia gaiement.) En avant pour la Multitude !

Dès que Jaina et ses ailiers eurent plongé dans l’hyperespace, les étoiles devinrent soudain des traînées de lumière. A partir de là, ce serait à l’ordinateur de navigation et à l’unité R2 de veiller à ce que les trois appareils atteignent leur destination… Dans l’intervalle, Jaina n’avait rien de mieux à faire qu’attendre. Et réfléchir…

La fragilité de Tahiri l’inquiétait davantage qu’elle ne voulait l’admettre. Sur Mon Calamari, la jeune femme avait crié son nom avant de s’effondrer. Ensuite, elle lui avait à peine adressé trois mots dans l’infirmerie de Cilghal. Certes, elle avait été ravie que Jaina lui rende visite. Mais également troublée et gênée…

Portée à défier les conventions, Tahiri était encline à une indépendance féroce. Elle s’obstinait à marcher pieds nus et n’hésitait pas à désobéir. Au fond, Anakin avait trouvé en elle une associée parfaite.

Non, pas une associée…

Jaina devait s’enlever de l’esprit l’image de deux amis prompts à se fourrer dans le pétrin – dans les pires guêpiers, plutôt ! Leurs aventures n’avaient pas été sans danger, loin s’en fallait. Notamment leur incursion avec Corran Horn à Yag’Dhul… Et que dire de leurs derniers exploits, dont Anakin n’était pas revenu vivant…

Oui, Tahiri et Anakin avaient été bien plus que des enfants terribles. A la fin, leur relation était bien autre chose qu’une simple amitié. Tahiri ne pleurait pas un camarade d’aventure, mais le garçon qu’elle aimait. Même si leur amour ne s’épanouirait jamais, ça ne diminuait pas le chagrin de la jeune femme. Le potentiel d’une idylle avait bel et bien existé. Et Tahiri se lamentait de n’avoir pas pu vivre pleinement ses sentiments. Jaina au moins avait vécu. Elle pleurait tout ce qu’elle avait perdu. Alors que Tahiri ne verrait jamais ses rêves se réaliser. Ils s’étaient envolés, fauchés par la mort…

Leia avait-elle bien fait de l’inviter à participer à cette mission ? Etait-ce raisonnable ? Certes, la jeune femme se porterait mieux dans le feu de l’action qu’au fond d’une infirmerie, seule, à remâcher sa tristesse. Mais évoluer au sein de la famille Solo… Etait-ce tellement mieux ? Si Jag mourait, Jaina ne voudrait à aucun prix de la compagnie du baron Soontir Fel ou de Syal Antilles… Car ils lui rappelleraient constamment sa perte.

Le cœur serré, Jaina revoyait Tahiri, inconsciente, aussi pâle et frêle que sur Mon Calamari… Après des visites à l’infirmerie placées sous le signe de l’embarras et du silence, elle n’avait toujours pas la moindre idée de ce que Tahiri lui avait voulu ce jour-là, au lendemain de la réunion des Jedi organisée par Luke… Lui dire qu’elle était désolée ? Ou au contraire lui reprocher d’avoir laissé Anakin mourir ?

Jaina l’ignorait. La douleur poussait parfois les gens à la folie. Elle en savait quelque chose… Et ses parents aussi. Mais si elle pouvait apaiser le chagrin de Tahiri, elle n’hésiterait pas. Hélas, la jeune femme devait être dans l’incapacité de formuler ses besoins.

Restait à espérer qu’il n’arriverait rien de grave avant qu’elle ne se reprenne.

 

Quelques heures plus tard, l’ordinateur de bord avertit Jaina qu’ils approchaient du point d’émergence.

— Nous y sommes presque ! lança-t-elle à ses coéquipiers. Souvenez-vous, nous sommes en mission de reconnaissance, c’est tout. Pas de provocation. C’est clair ?

— Parfaitement, colonel, répondit Jocell. Parée à lever le verrouillage de navigation.

— Je ne sais pas vous, dit Miza, mais cette inactivité me pèse, alors que nous devrions en profiter pour reprendre des forces… Je serais quasiment ravi de voir une cible surgir devant moi !

— Je te comprends, assura Jaina. Mais évite même les regards noirs, compris ?

— Je serai bien sage, promis.

— Tu as intérêt !

Son unité R2 bipant de nouveau, Jaina jeta un coup d’œil à l’écran pour apprendre qu’il restait cinq secondes avant la sortie de l’hyperespace.

— En avant !

Quand son aile X repassa dans l’espace réel, la première chose qui la frappa fut le bleu des cieux. A la lisière du système, l’étoile primaire de N’zoth disparaissait presque sous la lueur des autres soleils. Il fallut un moment à Jaina pour la repérer dans toute sa gloire.

Egalement sortis de l’hyperespace, ses ailiers se remirent presque aussitôt en formation. Les détecteurs entrèrent en action et les astromecs pépièrent.

Selon les archives de la Nouvelle République, nul n’était venu ici depuis la crise de Yevetha, douze ans plus tôt. A l’époque, la Flotte Noire avait été mise en déroute par la Nouvelle République – après avoir tenté une épuration ethnique des abords de l’Amas de Koomacht. Jaina partageait l’avis de son père : le calme plat, depuis, augurait d’un regroupement en vue de nouvelles offensives plutôt que d’une réelle conversion au pacifisme.

Bientôt, Jaina et ses coéquipiers en auraient le cœur net.

— Je capte de nombreux vaisseaux, dit Miza. A en juger par leur répartition inégale, je dirais que nous avons au moins trois flottes massées en orbite autour des mondes deux et cinq.

— Lequel est N’zoth ? demanda Jocell.

— Deux, dit Jaina. Je n’y relève pas de signatures correspondant aux anciens systèmes de l’Empire, mais il fallait s’y attendre. Les Yevethas apprennent vite, et ils ont dû repartir de zéro. Donc tout revoir à neuf…

— Pas de grands bâtiments, d’après mes indications, ajouta Miza. Mais beaucoup de petits, en revanche. Faciles à descendre…

Jaina ne se fatigua pas à remettre le pilote en garde. Miza avait un sens de l’humour bien à lui… Mais elle aurait préféré qu’il reste aussi sérieux que Jocell.

— Pas de signatures ioniques, non plus, précisa cette dernière. Les relevés de radiations sont… bizarres. Jaina, tu vois ce que je vois ?

La Jedi étudia son écran. Les zones d’ombre étaient exactement où Miza l’avait dit : le long des couloirs orbitaux de la deuxième planète et d’une géante gazeuse, à l’autre bout du système. Au fond, il était logique de cantonner ses flottes près de sa patrie et d’une spatiobase de maintenance. Inutile de regrouper tous ses vaisseaux… Cela aurait été une grossière erreur tactique. Surtout si tout paraissait calme. Le danger fondait parfois sur ses proies quand elles s’y attendaient le moins.

— Rapprochons-nous, ordonna Jaina. J’ai déjà ma petite idée sur ce que nous allons trouver…

Ses pilotes ne demandèrent pas de précisions. Sans doute avaient-ils aussi leur idée sur la question. Elle calcula un cap pour N’zoth et le transmit à ses ailiers.

Par bonheur, le saut fut court. En arrivant à l’endroit où les deux flottes avaient orbité autour de la planète-mère des Yevethas, Jaina constata que la situation était pire que ce qu’elle aurait pu imaginer… Des épaves ! Des milliers de vaisseaux et une station orbitale flottaient dans l’espace… Il faudrait peut-être des mois pour que l’excès de chaleur se disperse. Voilà ce que les détecteurs avaient montré. Jaina décrivit une grande parabole autour des épaves, se rapprochant de la planète.

Elle n’avait pas besoin de regarder pour comprendre, mais elle le devait. N’zoth avait été pilonnée depuis l’orbite. Des coulées de lave et des nuages de soufre montaient de nouveaux cratères, d’un bout à l’autre du globe, et l’atmosphère était saturée de cendres. Des cités, il restait d’énormes trous dans la croûte terrestre. Toute trace de la civilisation des Yevethas avait disparu.

Pour une fois, Miza garda pour lui ses commentaires – s’il en avait. En silence, il suivit ses camarades. Jaina orienta ses détecteurs vers la géante gazeuse, sans douter un instant des relevés qu’elle obtiendrait. L’attaque avait pris les Yevethas par surprise, pulvérisant leur flotte, pourtant d’une taille considérable. Cette destruction bénéficiait avant tout aux Fia – et ça expliquait pourquoi ils ne se souciaient plus du tout de leurs voisins… Mais ils ne disposaient pas d’une telle puissance de feu !

Seuls les Yuuzhan Vong avaient pu semer ainsi la mort et la désolation.

Jaina eut l’estomac retourné en repensant à ses parents et à Jag, sur Galantos… Elle invoqua la Force pour contacter sa mère, mais la distance était trop grande.

Elle allait ordonner de rebrousser chemin quand Miza se manifesta.

— Jaina, je capte une transmission en provenance de la petite lune que nous venons de survoler…

— Transmets-la-moi…

Il y eut une pause, suivie de parasites. Jaina tenta d’améliorer la réception mais rien n’y fit.

— Miza ? Jocell ? Vous obtenez quelque chose d’audible ?

— Non, répondit Jocell.

— Moi non plus, assura Miza. On dirait que quelqu’un tente d’ouvrir une fréquence – sans prononcer un mot.

— Peut-être parce que ces personnes sont trop gravement blessées pour parler, avança Jocell.

Pensive, Jaina hocha la tête. Une possibilité comme une autre… Basculant sur sa propre unité com, elle annonça :

— Qui que vous soyez, si vous m’entendez, cliquez deux fois.

Il y eut deux clics distincts.

— Entendu. Si vous êtes blessé, deux clics de plus.

Deux nouveaux clics retentirent.

— Je capte un faible signal au fond d’un cratère, annonça Miza. Ça pourrait être un petit vaisseau. Notre ami s’est sûrement caché dans l’épave de son appareil. Il a dû survivre en faisant le mort, le temps que la bataille s’achève.

Jaina écarta vite cette hypothèse. Pour une raison qui lui échappait, elle sonnait faux.

— Non, ce n’est pas la façon de faire des Yevethas. Ils ne se terrent pas au lieu de combattre. Celui-là a dû perdre connaissance en s’écrasant, et revenir à lui une fois que tout était fini.

— A supposer que ce soit bien un Yevetha, souligna Jocell.

— Et qui d’autre ? demanda Jaina. Tu ne suggères pas qu’il s’agirait d’un Yuuzhan Vong ?

— Je ne sais pas… Mais sans visuel, pas moyen de le dire.

— Miza ? Ton avis ?

— Mon instinct me souffle que c’est un Yevetha. Tu viens de le rappeler, Jaina, fuir les combats en se cachant n’est pas dans la nature de ce peuple. Alors… Que ferait celui-là tapi au fond d’un cratère ? Et l’hypothèse d’un Vong est absurde. Les Yuuzhan Vong ont surgi sans crier gare, ils ont frappé vite et fort, puis ils sont repartis. A quoi rimerait de laisser un petit vaisseau derrière eux ?

— J’en conviens, répondit Jaina. Mais Jocell a raison, il nous faudrait un visuel – surtout si nous nous proposons de sauver ce pilote.

Anticipant les ordres, Miza vira sur l’aile.

— Déjà en route ! Ça ne devrait pas prendre longtemps.

— Jocell, ouvre l’œil… Si nous devons filer en vitesse, je tiens à être prévenue en temps voulu.

— Compris, colonel.

Jaina regarda l’appareil de Miza foncer vers la lune.

Le voir s’éloigner à ce point la remplissait d’inquiétude. Même si plus rien ne semblait menaçant, dans ce système… Justement, c’était trop calme pour être honnête, à son goût.

Histoire de chasser ses craintes, elle reprit le dialogue avec le Yevetha.

— Nous allons vous sortir de là. Bien reçu ?

Deux clics.

— Tenez bon. Un de mes pilotes vous survolera d’une seconde à l’autre. Ensuite, nous…

Un ricanement l’interrompit, suivi par une quinte de toux rauque.

— Votre optimisme est aussi creux que votre compassion… (C’était bien la voix d’un Yevetha.) Je ne compte pas plus, à vos yeux, que vous comptez pour moi.

— Ce n’est pas vraiment la réponse que j’attendais…, maugréa Jocell.

Jaina l’ignora.

— Vous vous trompez ! Pourquoi pensez-vous que nous tenterions de… ?

— Je rejoindrai bientôt mon peuple… Et les Yevethas cesseront d’exister avec moi. Mais nous ne disparaîtrons pas sans bruit !

— Vous n’avez aucune raison de disparaître ! Laissez-nous…

— Face à l’aurore éclatante de la mort, je lance un ultime défi. Ainsi, lorsqu’on évoquera notre souvenir, dans les temps futurs, on rappellera que nous nous sommes battus jusqu’au bout !

— Miza, file vite de là !

— Je suis très loin de toi, Jaina !

— Il n’y a plus nulle part où fuir ! jubila le Yevetha. La galaxie appartient désormais à ceux qui ont eu le pouvoir de rayer de l’existence un peuple si glorieux !

(Un sifflement inquiétant monta de l’unité com.) Plongez avec moi dans la mort !

— Miza, je ne t’entends plus !

— Je suis presque…

Il y eut une lueur aveuglante. Peu avant de rejoindre l’aile X de Jaina, la griffe de Miza disparut dans cet océan de lumière. A son tour, l’aile X partit en vrille, les boucliers désactivés et le cockpit plongé dans le noir.

 

— Tu as réussi !

Jacen sentit des bras l’enlacer à la seconde où il prit pied sur la rampe de débarquement de la navette. Surpris, il s’abandonna à la tendresse de celle qui l’étreignait de si bon cœur… avant de comprendre…

Ce corps menu aux courbes féminines, cette chevelure, ce parfum si délicat…

Danni s’écarta de lui en souriant.

— Je n’ai jamais douté que tu réussirais, note bien ! Mais je m’inquiétais tout de même. Les Solo n’aiment guère la facilité !

— Adresse-toi à Pellaeon ! S’il ne s’était pas réveillé à point nommé, je n’aurais jamais ramené Flennic à la raison !

— Pas de modestie ! gloussa Danni.

Quelqu’un approchait de l’accès principal de la baie d’atterrissage. Le jeune Jedi s’abstint de répondre. Embarrassée, Danni s’écarta en voyant Luke apparaître.

— Il m’avait bien semblé sentir ton aura…

— Depuis quand êtes-vous là ? demanda Jacen.

Lors de son vol de retour, il n’avait pas repéré l’Ombre de Jade dans les parages du Faiseur de Veuves.

— Quand Gilad s’est réveillé, expliqua Luke, Yage a envoyé une navette. A notre arrivée, la capitaine et le Grand Amiral avaient utilisé leurs codes pour se connecter au réseau de sécurité impérial, et ils suivaient votre conversation avec Flennic. Pellaeon a insisté pour vous interrompre. J’espère que tu ne nous en veux pas. Tu t’en sortais bien, Jacen. Mais de cette façon, ça nous a paru plus simple. Et il fallait prouver à Flennic que le chef militaire de l’Empire était bien vivant.

— Je suis soulagé de le savoir rétabli, assura Jacen. Puis-je lui parler ?

— Ce sera à Tekli d’en décider, répondit Danni. Il récupère dans la cuve bacta. Parler avec le Moff Flennic l’a épuisé… Vous savez, pour quelqu’un d’aussi calme, elle a beaucoup à dire dès qu’il s’agit de ses patients.

Jacen sourit. Il vouait un grand respect à l’apprentie de Cilghal. Sans être très douée pour la Force, elle avait de grandes connaissances thérapeutiques.

Ils remontèrent les coursives du Faiseur de Veuves. Luke, parfaitement à l’aise, expliqua que Mara et Saba, restées à l’écart, suivaient les événements de loin. Jacen admirait l’aplomb de son oncle. En territoire impérial, il avait toute l’assurance du maître des lieux – alors qu’il évoluait à bord d’un vaisseau appartenant à ses ennemis d’hier…

Les commandos de garde firent signe aux trois « invités » d’entrer dans la section médicale où Tekli étudiait des rapports sur l’état de son patient. L’air épuisé, la capitaine Yage s’entretenait avec Gilad Pellaeon.

Le Grand Amiral semblait aller mieux, mais il n’était pas aussi rétabli que Jacen l’aurait souhaité. Encore immergé dans la cuve bacta, Gilad restait terriblement amaigri. Il communiquait par le truchement d’un micro intégré à son masque à oxygène. Ce système étouffait un peu sa voix – un détail qui avait frappé Jacen lors de son explication avec Flennic.

— Et Screed ? Encore en vie ?

— L’amiral Screed a été exécuté par le seigneur de guerre Zsinj, répondit Yage.

— Vraiment ? (Des bulles flottaient autour de Pellaeon, crevant la surface.) Ma mémoire est bien défaillante pour que j’aie oublié ça… J’avais de l’affection pour ce vieux chauve-faucon…

Yage jeta un coup d’œil à Luke et à ses compagnons.

— Vous avez de la visite, amiral.

Pellaeon ouvrit les yeux puis les referma. La paroi transparente qui déformait ses traits interdisait de déchiffrer ses expressions.

— Ah, oui… Skywalker… On est venu voir la vieille relique, c’est ça ?

Jacen lança un coup d’œil à son oncle, qui affichait une mine impavide.

— Où en est-on ? demanda le Grand Amiral.

— D’après Mara, vos ordres sont exécutés. Les vaisseaux se replient…

— Bien. (Gilad hocha la tête.) Ravi de constater que Flennic me dit la vérité. Néanmoins, je parierais qu’il ne perd pas le nord, et se met au passage quelques petits bénéfices dans la poche…

— Je ne tiendrais pas le pari, répondit Jacen. Comme vous, je doute qu’il reste sans rien faire pendant que la flotte l'abandonne.

— Non, en effet. Il se débrouillera pour suivre la flotte sans risquer sa vie. Cela dit, ça ne l’empêchera pas de protéger ses investissements. (L’amiral rouvrit les yeux pour regarder Jacen.) Vous avez fait du bon travail, mais le bon sens n’aurait jamais suffi à ramener Flennic à de meilleurs sentiments. Il ne comprend qu’une chose : la force. Et je ne parle évidemment pas de votre puissance mystique, mais bien de la force brute. (Il baissa de nouveau les paupières comme si la solution lui irritait les yeux.) Lui rappeler son insignifiance dans l’ordre supérieur des choses aurait pu marcher. Mais je préférais qu’il soit en colère contre moi plutôt que contre vous. J’ai l’habitude…

— Je détesterais m’attirer l’inimitié d’un tel personnage… Mais ça ne m’empêcherait pas de dormir non plus.

— Bien dit, mon garçon ! Et c’est ce que vous lui expliquiez en termes fleuris, d’ailleurs. Pour le moment, nous sommes dans une passe difficile. Nous n’aurons guère le temps, je le crains, de mettre en pratique les nouvelles tactiques tout en déplaçant la flotte. Si ce que vous dites est vrai, les Yuuzhan Vong frapperont vite et fort, comme à Bastion, histoire de nous laisser trop faibles pour servir la cause de quiconque… Les Vong ne convertiront pas nos mondes tout de suite. Ils reviendront pour ça dès que leurs moyens le leur permettront… et qu’ils en auront le temps.

— Ils sont peut-être en quête de nouvelles ressources, avança Danni. Tout en neutralisant une menace…

— Ils pourraient chercher de nouvelles ressources à peu près n’importe où, objecta Pellaeon. Des millions de rochers inhabités flottent dans l’espace et regorgent de matières premières… Aucun besoin d’une armée pour exploiter leur potentiel !

— Ils n’utilisent pas nos méthodes, amiral, expliqua Danni. Il leur faut des planètes pour leurs « plantations ». Mais ce n’était pas de ça non plus dont je parlais. Je pensais plutôt aux troupes…

— Vous voulez parler des soldats esclaves ? demanda Pellaeon. Ça expliquerait pourquoi Bastion fut la première cible, et pas Yaga Minor… Si j’avais commandé leur armée, j’aurais choisi Yaga Minor… Ça éclaire aussi un autre point. Arien, l’holovidéo que vous me montriez tout à l’heure… Repassez-le sur écran.

Yage pianota sur un clavier numérique. Aussitôt, un des moniteurs médicaux fut remplacé par une image du système de Bastion.

La répartition des forces – celles de l’Empire et celles des Yuuzhan Vong –, était signalée par des points lumineux. En déroulant le diagramme de façon à obtenir une projection dans le temps, Yage montra comment la bataille avait progressé sur la plupart des fronts, ainsi que les informations glanées par les détecteurs de tous les vaisseaux impériaux permettaient de le déduire.

Au fil des combats, l’image perdait de sa qualité. Des vaisseaux, des balises et des satellites étant pulvérisés les uns après les autres, de grandes zones d’ombre apparaissaient. Ce fut bientôt comme vouloir observer les étoiles à travers des nuages d’orage… En dehors des environs de la géante gazeuse où Pellaeon avait livré son dernier combat, les images du système étaient voilées.

Yage fit un arrêt sur image et zooma sur un unique vaisseau, signalé par un cercle.

— Nous ignorons d’où il vient, dit-elle. Les derniers survivants l’ont seulement aperçu. Son vecteur d’approche suggère qu’il est entré tardivement dans la bataille. Vu la taille du bâtiment, c’est plutôt bizarre.

Yage intégra d’autres schémas à l’ensemble. Le vaisseau en question avait la forme d’une sphère aplatie équipée à la poupe de cinq grosses tiges de longueur variable. Le navire était assez gros pour contenir plusieurs analogues de transporteur de troupes.

— Si c’était un navire militaire, conclut Yage, pourquoi l’avoir gardé en réserve jusqu’au dénouement du conflit ? Et dans le cas contraire, que faisait-il là ?

— C’est forcément un vaisseau d’esclaves, dit Pellaeon. Les Yuuzhan Vong ont éliminé les flottes en orbite autour de Bastion, ce qui leur a fourni une nouvelle population à réduire en servitude. Tous ceux qui n’ont pas pu fuir sont déjà en route vers l’installation de conversion la plus proche pour être métamorphosés en zombies prêts à se sacrifier au nom de leur maître de guerre… Sur Duro, j’ai vu à l’œuvre quelques-unes de ces misérables créatures.

— On les exploite dans bien d’autres endroits, dit Luke. En fait, je suis convaincu que c’est le même type de vaisseau que celui détruit par Saba il y a plusieurs mois, autour de Barab I.

Pellaeon hocha la tête.

— Les citoyens de l’Empire et – tous les peuples –, méritent mieux que ça. Si nous avions su que c’était l’objectif visé par nos ennemis…

Perdu dans ses sombres réflexions, il n’acheva pas sa phrase.

— Les Yuuzhan Vong étaient mieux armés que vous, amiral, dit Jacen. Vous ne pouviez rien faire de plus.

— Et nous étions désorganisés, soupira Pellaeon. D’où que venait ce navire-là, il est sans doute déjà à des centaines d’années-lumière d’ici… Occupons-nous d’empêcher à tout prix que ces horreurs se reproduisent. Sur Borosk ou ailleurs. Et avec qui que ce soit.

 

Pour Jag Fel, quasiment tout allait de travers sur Galantos. Le conseiller Jobath était toujours retenu à l’autre bout de la planète, Tahiri ne revenait pas à elle, et C-3PO et lui n’avaient pas encore déterminé pourquoi le réseau de communications était en panne. Pour couronner le tout, Jaina, la seule personne qu’il aurait aimé avoir près de lui en de telles circonstances, était partie pour N’zoth alors qu’il restait coincé sur cette fichue planète… Bref, Jag avait connu de meilleurs jours. Et de meilleures missions…

Après une heure passée à arpenter en long, en large et en travers le salon de leur suite diplomatique, il décida que trop, c’était trop. Il devait faire quelque chose. A savoir, rejoindre l’Escadron Soleils Jumeaux. Le temps n’était plus aux atermoiements.

— Je vais faire un tour, annonça-t-il.

Thrum, qui montrait à Leia les plans des infrastructures récemment construites, se redressa vivement.

— Je ne crois pas que ce serait…

— Ça ira, assura Jag. Je ferai une petite balade. Et avoir de la compagnie m’est égal.

Le garde posté dans le couloir le suivit le long des couloirs luxueux. Où Tahiri avait-elle perdu connaissance, déjà ? Quelque chose, dans l’enregistrement, le perturbait… Juste avant de dégainer son sabre laser, la jeune femme avait baissé les yeux. Un vertige passager ? Elle avait lancé les bras en avant, à la manière des victimes de malaises qui cherchent à retrouver l’équilibre… Puis il avait remarqué qu’elle tenait un objet – la source possible de sa réaction.

Personne n’y avait fait allusion. Mais Jag en aurait le cœur net.

Rien, dans l’holovidéo, ne fournissait d’indice sur ce mystère. Le jeune homme ignorait par où commencer ses recherches. En tout cas, il tenterait de résoudre l’énigme. Il avait fouillé les poches de Tahiri – vides. Alors, retrouver le lieu de l’incident semblait un bon début.

Il y fut bientôt, et, sous le regard étonné du garde, se lança dans une fouille méthodique.

— Mon amie a perdu un objet, dit Jag. Peut-être l’a-t-elle laissé tomber ici, quand elle s’est évanouie… Dans la confusion, on a pu ne pas le voir.

Le Fia au regard mélancolique hocha la tête. Mais il restait perplexe.

— Si vous m’aidiez un peu ? proposa Jag. Ça nous ferait gagner du temps.

— A quoi ressemble cet objet ?

Le jeune homme resta un instant sans voix. Il n’en avait pas la moindre idée.

— Vous le saurez quand vous le verrez… J’espère…

L’éclairage du couloir manquait de puissance et l’épaisseur du tapis ne facilitait pas les choses. Jag, qui eut très vite mal au dos, se demanda si son imagination ne lui avait pas joué des tours… Si un objet était tombé là, il était plus difficile à repérer qu’une puce sur un bantha…

— C’est ça ? demanda le Fia en lui tendant un morceau de plastique translucide.

Jag se releva, le prit et l’examina en tentant de cacher l’étendue de son ignorance. Ce n’était rien de plus qu’un fragment d’emballage. Comment aurait-il pu provoquer une telle réaction chez Tahiri ?

— Non, répondit-il en espérant ne pas se tromper. (Il empocha la trouvaille, au cas où.) Continuons…

Alors qu’il se penchait, montrant l’exemple, un reflet argenté attira son attention. Les yeux rivés dessus, il approcha. Quatre mètres plus loin, un petit objet était à demi enfoui. Tahiri avait dû le jeter en dégainant son sabre laser… Et les gardes l’avaient sans doute piétiné sans le savoir. Sinon, on l’aurait découvert à coup sûr.

Jag le ramassa. Un pendentif ? Un fétiche quelconque ? En tout cas, il était de la taille approximative de la phalange d’un pouce, métallique d’origine. Par un petit trou, on devait pouvoir passer une cordelette. D’un poids surprenant, l’objet était couvert d’inscriptions dans une langue inconnue.

Il représentait une créature hideuse – inconnue elle aussi. Mais l’Alliance Galactique comptait combien d’espèces ? Jag était loin de les connaître toutes. De même qu’il était loin d’être un expert de toutes les cultures des Régions Inconnues…

Un élément le troublait : la créature semblait couverte de cicatrices.

— C’est ça ? demanda le Fia, penché par-dessus l’épaule du jeune homme.

— Oui, répondit Jag en empochant l’objet. Mon amie sera ravie de le récupérer.

Remerciant le garde de son aide, il se laissa ramener dans sa suite.

Tahiri restait inconsciente et C-3PO était incapable de dire quand elle reprendrait connaissance.

Jag soupira. Il ne pouvait plus s’attarder. Jaina était partie depuis pas mal de temps et il devait réintégrer son escadron. Etre accusé d’abandon de poste l’inquiétait plus pour l’instant que le malaise que lui inspirait le colifichet argenté, au fond de sa poche.

 

Les techniciens de maintenance d’Al’solib’minet’ri s’étaient occupés de la griffe. En visionnant les archives pour savoir ce qu’on avait fait en son absence, Jag découvrit sur l’écran un bref message :

VOUS DEVEZ PARTIR D’ICI SUR-LE-CHAMP.

Stupéfait, Jag vérifia que personne ne l’épiait. Mais aucun personnage suspect ne rôdait dans les environs.

La seconde suivante, le message s’effaça. Jag voulut le rappeler à l’écran. Peine perdue. D’après les archives, rien n’avait jamais existé. L’auteur de l’avertissement s’était assuré qu’il n’en resterait pas trace.

Mais pourquoi ? Et si on tenait tant à ce que Jag file, pourquoi n’avait-on pas utilisé des moyens plus frappants ? Pourquoi attendre qu’il s’en aille, justement ? A moins que l’auteur du message n’ait pas pu placer son avertissement ailleurs que dans les systèmes de navigation… Ou qu’il ait tenu à en réserver la primeur à Jag et à personne d’autre.

Le jeune homme sentit son malaise augmenter. Tahiri, le pendentif, le message… Trop de questions sans réponses… Il envisagea de rester avec Yan et Leia, mais y renonça vite. Rien ne prouvait qu’il se tramait du vilain. A part de vagues indices, des avertissements et des soupçons… Sans compter que les Solo savaient se débrouiller tout seuls. Ils ne manquaient pas d’expérience !

— Contrôle d’Al’solib’minet’ri, ici leader des Soleils Jumeaux, annonça Jag dans son unité com. Paré au décollage. Il y a un couloir aérien que vous préféreriez me voir prendre ?

— Pas si vite, leader des Soleils Jumeaux, répondit le contrôleur. Il nous reste des points de détail à régler avant que…

Exaspéré, Jag mit les moteurs en route. Assuré d’éviter sans mal les vaisseaux fia qui pourraient prétendre lui barrer le chemin, il traita par le mépris les couinements affolés du contrôleur et s’envola.

— Joli coup, Jag ! le félicita Sept. Depuis notre arrivée, Mayn a envie de faire un pied de nez à toutes ces formalités ! Chaque fois que notre orbite déviait d’un mètre, les Fia la recontactaient…

Si Sept était amusé, Jag conserva son sérieux.

— Rien d’autre à signaler ?

— Tu plaisantes ? A part les bavardages, tout est calme. Le black-out des communications continue.

Jag choisit de se concentrer sur ce problème en particulier. D’emblée, il avait supposé que ce point serait vite résolu et que l’escadron passerait à la deuxième étape. Mais en analysant avec C-3PO les archives de l’émetteur-récepteur planétaire, il n’avait détecté aucune cause plausible. En contactant ensuite le réseau inter-secteur le plus proche, il avait eu confirmation qu’une petite correction de routine suffirait à régler le problème. Alors… Qu’est-ce que ça cachait ? Les Fia s’étaient-ils délibérément coupés de l’univers ?

Dans ce cas, pourquoi ? Avec les Yevethas qui les menaçaient et des richesses en minerais propres à exciter la convoitise d’à peu près tout le monde, maintenir les communications devenait pour eux un besoin vital… Pourtant, à en croire les Fia, les Yevethas ne posaient plus le moindre problème. En outre, Galantos semblait s’être enrichi. Mais grâce à qui ?

Il y avait décidément quelque chose de pas clair…

Tôt ou tard, Jag aurait le fin mot de l’histoire. Il lui restait deux ou trois pièces du puzzle à emboîter et…

Un bip insistant l’arracha à ses cogitations. La voix de l’officier de quart, à bord du Sélonia, monta de la console.

— Soleils Jumeaux, nous captons des perturbations dans l’hyperespace, du côté du secteur douze. On dirait que nous avons de la compagnie… Vous voulez voir ça de plus près ?

— Jumeaux Sept, j’arrive !

— Quel genre de compagnie ? demanda Jag en regardant l’aile X de Sept quitter la formation et s’éloigner de Galantos.

— Difficile à dire, admit l’officier. Ils sont encore loin… Mais à première vue, une foule de petits vaisseaux en escorte deux grands.

— Pourriez-vous préciser le type de bâtiment ?

— Non, désolé…

Une autre alarme interrompit l’officier.

— Une minute, Leader. D’autres navires, secteur six, à l’autre bout du système… Deux petits seulement, dont une aile X. Les émissions du second sont bizarres. C’est comme si…

— Alerte ! cria soudain Jaina sur la fréquence subspatiale. J’ai perdu Jumeaux Huit et Neuf ne survivra plus longtemps… Il me faut des secours immédiats !

Jag réfléchit à toute vitesse. « Huit » était Miza, un pilote de l’Escadron Chiss.

— Qu’est-il arrivé, Jaina ? Les Yevethas vous ont attaqués ?

— C’est plus compliqué, soupira la jeune femme. Ils ont été exterminés, mais il restait un survivant… qui a préféré faire sauter son chasseur plutôt que de nous parler… J’ai réussi de justesse à revenir… Jag, assure-toi que cette abomination ne se reproduise pas ici.

— Ici Sept… J’ai des données sur les vaisseaux en approche : deux escadrons de skips et un analogue de frégate escortent deux bâtiments d’un genre que je n’avais jamais vu… Ils m’ont repéré et me poursuivent ! J’ai besoin d’aide !

Jag s’écarta du Sélonia et s’adressa à tous ses pilotes :

— Escadron Soleils Jumeaux, au combat !

L'Hérétique de la Force T1 - Les vestiges de l'Empire
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